lundi 22 juin 2009

« Vous êtes des dieux. » (JC remix)

Pour Laurent D.

Dans un billet précédent, j’ai essayé de voir plus clair dans le – difficile – psaume 82.

Il nous reste à voir comment ce psaume est utilisé par Jésus dans une discussion avec les Juifs que nous rapporte l’Evangile de Jean (Jn 10.31-38)

31 Les Juifs ramassèrent à nouveau des pierres pour le lapider.

32 Jésus leur dit : « Je vous ai montré beaucoup de belles œuvres venant du Père. Pour laquelle de ces œuvres allez-vous me lapider ? »

33 Les Juifs lui répondirent : « Ce n’est pas pour une belle œuvre que nous allons te lapider, mais pour blasphème, parce que, toi qui es un homme, tu te fais Dieu ! »

34 Jésus leur répondit : « N’est-il pas écrit dans votre loi : Moi, j’ai dit : Vous êtes des dieux ! 35 Ainsi elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée, – et l’Ecriture ne peut être annulée – 36 et vous, vous dites à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde : « Tu blasphèmes ! » parce que j’ai dit : « Je suis Fils de Dieu » ! 37 Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas. 38 Mais si je les fais, quand même vous ne me croiriez pas, croyez les œuvres ; sachez et comprenez ainsi que le Père est en moi, comme moi dans le Père. »

Ce texte est quelque peu énigmatique. A première lecture, on pourrait penser que Jésus relativise sa filiation divine ou du moins qu’il se sert d’un argument quelque peu sophiste pour se sortir d’une situation délicate. Dans les deux cas de figure, l’image que le christianisme traditionnel se fait de Jésus est remis en cause. En effet, si Jésus est une des personnes de la divinité, comme le confesse le christianisme, l’argument de Jésus sonne faux, dans la mesure où il éloigne les Juifs de la réalité de sa personne, alors que leur réaction prouve qu’ils avaient bien compris sa revendication. Qu’en est-il ?

Dans un premier temps, force est de constater que Jésus en appelle à l’autorité de l’Ecriture. … l’Ecriture ne peut être annulée, dit-il. La référence à votre loi est intéressante en soi, car il s’agit de la citation d’un psaume, texte qui ne fait pas partie de la loi au sens strict. Jésus semble poser le fondement de son argumentation. C’est comme s’il leur disait : « Les textes qui, selon vous-mêmes, font autorité (« votre loi ») ne sauraient être faux. »

Or, dans l’un de ces textes, Dieu appelle dieux des êtres autres que Dieu. Que ces êtres sont différents de Dieu est une nécessité, car la parole de Dieu leur est adressée. Nous avons vu que l’identité de ces dieux est susceptible d’interprétations très diverses. Mais leur identité précise ne semble pas cruciale pour l’argument que développe Jésus.

On reproche à Jésus de « se faire Dieu », apparemment parce qu’il s’est dit Fils de Dieu. Or il ne s’est pas dit Dieu. Comment pourrait-on alors l’accuser de blasphème, vu qu’il s’est attribué un titre moins glorieux que celui que Dieu lui-même donne à certaines de ses créatures ?

Si c’est ainsi qu’il faut comprendre notre texte, nous devons encore répondre aux interrogations que nous avons exprimées plus haut :

Jésus ne s’abaisse-t-il pas ?
N’est-il pas en train d’induire ses adversaires en erreur quant à ses véritables prétentions ?

Notons d’abord le contexte de l’argument. Jésus se trouve face à une foule qui s’apprête à le lapider pour blasphème. Nous ne sommes donc pas dans un contexte propice à des développements de haute théologie. En dégainant un argument bluffant, à la portée de ses adversaires, Jésus dépressurise un peu l’atmosphère et oblige ces hommes enragés à réfléchir. Ceci lui permet de placer un autre argument décisif, concernant la nature de ses œuvres. Accessoirement, Jésus évite à ces hommes d’aller trop loin dans leur durcissement, en levant la main contre l’Envoyé de Dieu.

Certes, Jésus ne saisit pas cette opportunité de dire sa divinité, mais de toute façon, ses interlocuteurs ne sont pas en mesure de la saisir, dans l’état où ils se trouvent. En leur inoculant la citation du Psaume 82, Jésus les invite à réfléchir un peu et à admettre que notre vision de la sphère divine est très limitée. Si Dieu appelle dieux les membres de son assemblée divine, il faut conclure qu’il y a plus de choses au ciel et sur terre que n’en rêve notre théologie. Alternativement, s’il appelle dieux des juges humains, à qui il a délégué sa prérogative de jugement, il faut conclure que le terme est quelque peu élastique et que celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde peut y prétendre sans l’ombre d’un doute. (Il est vrai que l’argument est plus fort si les dieux du Psaume 82 sont des êtres humains, comme le pensent beaucoup de commentateurs, mais in fine ce n’est pas déterminant.)

On a pu objecter que la divinité des personnages du psaume (quelle que soit leur identité) et celle de Jésus ne sont pas vraiment comparables. Un grand nombre de commentateurs répondent à cela en soulignant que nous sommes en présence d’un raisonnement a fortiori. Herman Ridderbos a, me semble-t-il, raison lorsqu’il explique que ce qui est en jeu ici, ce n’est pas l’unicité radicale de Jésus – sa différence ontologique, pour utiliser un gros mot – et sa relation particulière avec le Père, mais l’accusation de blasphème. Le psaume 82 est alors un moyen de défense adéquat, et il suggère la direction dans laquelle il faut creuser pour aller plus loin. Je laisse le mot de la fin à Ridderbos : « S’ils veulent comprendre quelque chose à Jésus, ils devront d’abord comprendre quelque chose de Dieu, tel qu’il s’est révélé lui-même, non seulement dans son unicité inaccessible et dans sa gloire céleste, mais aussi dans sa volonté de se révéler et de sauver (his self-communicating will to save), dans laquelle sa Parole est venue. »

1 commentaire:

  1. Merci beaucoup, c'est très intéressant. Comme quoi l'étude n'est pas de trop pour comprendre ce genre de textes.
    Je relirai au calme ton billet précédent sur le psaume 82, il est dense et je n'ai pas encore tout saisi :)

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