lundi 8 juin 2009

« Vous êtes des dieux. » Qui êtes-vous donc ?

Bien que court et concis, le psaume 82 est un texte redoutablement difficile.

1 Psaume. D’Asaph. Dieu (אֱלהִים : Elohim) se tient dans l’assemblée de Dieu (עֲדַת־אֵל : El) ; il juge au milieu des dieux (אֱלהִים : Elohim).
2 Jusqu’à quand jugerez-vous avec injustice et favoriserez-vous les méchants ?
3 Faites droit au faible et à l’orphelin, rendez justice au pauvre et au déshérité,

4 faites échapper le faible et le pauvre, délivrez-les de la main des méchants.

5 Ils n’ont ni connaissance ni intelligence, ils marchent dans les ténèbres; toutes les fondations de la terre vacillent.

6 J’avais dit : Vous êtes des dieux
(אֱלהִים : Elohim), vous êtes tous des fils du Très-Haut (בְנֵי עֶלְיוֹן : Elyon).
7 Cependant vous mourrez comme les humains, vous tomberez comme n’importe quel prince.
8 Lève-toi, ô Dieu, juge la terre ! Car tu as toutes les nations pour patrimoine.

Qui sont les dieux à qui Dieu s’adresse ?

Le terme lui-même fait d’abord penser à des divinités. Il ne s’agit pas pour autant de la seule signification du mot. Il peut parfois désigner plus généralement des êtres appartenant à la sphère divine ou à l’au-delà. Par exemple, quand la voyante évoque l’esprit de Samuel pour Saül, elle aperçoit avec terreur un Elohim (1 S 28.13).

Que savons-nous sur ces dieux ?

(1) Ce sont apparemment des juges. Les versets 3 et 4 établissent le fait avec clarté : ceux à qui Dieu s’adresse ici sont appeler à faire droit et à rendre justice.

Tout le psaume est d’ailleurs dominé par le thème du jugement. Le verse 1 montre Dieu qui juge, et le verset 8 appelle justement Dieu à exercer son jugement.

(2) Ce sont de mauvais juges. Ils jugent avec injustice et favorisent les méchants, trahissant ainsi leur vocation.

(3) Ce sont des fils du Très-Haut. Je n’ai pas trouvé d’autre utilisation de cette expression précise dans l’AT, mais le titre est employé à l’égard de Jésus par un démon (Mc 5.7 ; Lc 8.28) et par l’ange Gabriel (Lc 1.32) et Jésus l’utilise pour désigner ses disciples (Lc 6.35 : … aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer. Votre récompense sera grande et vous serez fils du Très-Haut …)

(4) Ils sont ou deviennent mortels : … vous mourrez comme les humains.

(5) Lorsqu’il cite ce passage (Jn 10.35), Jésus précise que ce sont ceux à qui la parole de Dieu a été adressée.

(6) D’ailleurs, ils semblent faire partie de l’assemblée divine, car lorsque Dieu se tient dans cette assemblée, il est au milieu de ces fameux dieux. Littéralement, c’est l’assemblée d’El, et on sait par ailleurs que le nom d’El désignait aussi le dieu suprême du panthéon cananéen.


Ces dieux, qui sont-ils donc ?

J’ai feuilleté les commentaires et j’y a trouvé plusieurs propositions radicalement différentes les unes des autres :

• Pour Leon Morris et bien d’autres (notamment Delitzsch), ce sont des juges humains. Cette interprétation satisfait sans difficulté aux critères (1), (2) et (4). Si on estime que ce sont des juges du peuple d’Israël, on peut aussi admettre que dans un certain sens, en tant que Israélites, ils sont fils du Très-Haut, car Dieu dit par ailleurs qu’Israël est [son] fils, [son] premier-né (Ex 4.22). Pour la même raison, on pourrait estimer que la parole de Dieu leur a été adressée, notamment au Sinaï. Pour revenir au psaume dans son ensemble : que Dieu, le juge par excellence, exhorte les juges à mieux remplir leur mission, quoi de plus normal. Mais pourquoi alors ce titre pompeux : en quoi sont-ils des dieux ? Morris estime que cette expression s’applique à eux dans l’exercice du ministère important que Dieu leur a confié. J’avoue que je ne suis pas totalement séduit, car le terme dieux semble un peu excessif, même en tenant compte de la dignité de leur vocation.

• Une variante intéressante y voit même le peuple d’Israël dans son ensemble. Ibn Ezra semble avoir eu cette intuition, et cette variante compte d'autres grands noms parmi ses défendeurs, comme par exemple Ridderbos et Don Carson. Il est vrai que le terme assemblée fait penser à l’Exode et la teneur du discours de Dieu fait écho aux lois données à Israël. Carson insiste beaucoup sur le critère (5) qui désignerait clairement les Israélites au Sinaï. J’avoue que je trouve cette interprétation assez ingénieuse, mais à la réflexion, elle me semble presque un peu trop ingénieuse, trop sophistiquée. Tous les Israélites ne sont pas appelés à être juges. C’est très intéressant de voir que les défendeurs de cette interprétation glissent sans crier gare du peuple aux juges parmi les Israélites. Le critère (4) pose également certains problèmes à cette lecture. Mais ce qui est décisif pour moi, c’est que cette lecture semble assez éloignée de l’atmosphère du psaume. Qui penserait à cette interprétation en lisant le psaume sans a priori ?

• Il pourrait également s’agir des divinités des nations. Le psaume 95 dit en effet que YHWH est un grand roi au-dessus de tous les dieux. Bien entendu, le psaume 82 aurait alors un caractère symbolique. Dieu fait le procès de ces divinités qui n’ont pas su établir la justice. Leur punition serait leur disparition. Cette interprétation explique sans grande peine l’utilisation du terme dieux et satisfait aux critères (1), (2) et (4). Il semble plus difficile de défendre que ces idoles sont appelées Fils du Très-Haut, et on ne voit pas non plus en quoi la parole leur a été adressée. Dans les autres scènes biblique où Dieu tient conseil (Job 1.6-12 ; 2.1-7 : avec les fils de Dieu ! ; 1 R 22.19 : avec l’armée du ciel), on ne voit d’ailleurs jamais la présence de divinités étrangères.

• Depuis Qumran au moins, on a parfois identifié les dieux avec des anges. Comme ils sont critiqués pour être de mauvais juges, il faudrait bien sûr que ce soient des anges déchus. Il y a en effet certains textes qui pourraient en effet suggérer que Dieu a mis des anges à la tête des différentes nations. On pense à Dt 32.8s (dans la variante fils de Dieu, בְנֵי־אֵל, que je crois juste), mais aussi Dn 10 et 12.1. Dans cette perspective, l’assemblée divine serait la réunion de ces anges-satrapes autour de Dieu. Etant des gouverneurs des nations, ces anges seraient naturellement aussi les juges suprêmes de ces nations. La dérive des nations correspondrait à la déchéance de leurs anges protecteurs. Ainsi, les critères (1) et (2) sont remplis sans difficulté. L’expression fils du Très-Haut n’est jamais utilisée pour des anges, mais on trouve dans plusieurs textes des personnages appelés fils de Dieu (בְנֵי־אֵלִים : Ps 29.1 ? Ps 89.6-8 ; בְנֵי־הָאֱלהִים : Gn 6.1 ; Jb 1.6 ; 2.1 ; 38.7) ou fils des dieux (בַר־אֱלָהִין : Dn 3.25) et qui font penser à des êtres angéliques. La peine de mortalité exprimée par le critère (4) prendrait également sens. Nous savons que la seconde mort (Ap 20.14) guette aussi les anges déchus ; il y aura des anges en enfer (Mt 25.41). Reste à savoir si le critère (5) est rempli. Il me semble que la précision ceux à qui la parole de Dieu a été adressée peut se référer simplement à ceux à qui s’adresse la parole du verset 6 de notre psaume.

Personnellement, je penche donc vers la lecture « angélique » de notre psaume. Mais il faut rester prudent : vu que de grands exégètes ont défendu chacune des variantes, on se trouve à l’évidence dans un domaine où le doute est permis.

1 commentaire:

  1. Wao, j'avoue que j'en attendais pas autant !
    Il me faudra lire et relire tout ça au calme.
    Merci beaucoup en tout cas !

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