jeudi 28 mai 2009

Ephraïm - Juda : 0-1 (score final)

Depuis mon billet récent consacré aux douze tribus, vous ne serez pas étonnés d’apprendre que je suis sensible à la mention nominative des tribus par l’Ecriture. Le psaume 78, un des « poids lourd » du psautier, contient un passage intéressant à cet égard.

C’est un psaume historique, qui retrace l’histoire du salut entre l’Exode et l’installation de la royauté davidique. En voici un extrait :

55 Il chassa des nations devant eux,
leur attribua un patrimoine au cordeau
et fit demeurer dans leurs tentes les tribus d’Israël.
56 Mais ils provoquèrent le Dieu Très-Haut,
se rebellèrent contre lui
et ne prirent pas garde à ses préceptes.
57 Ils se dérobèrent et trahirent, comme leurs pères,
ils dévièrent comme un arc faussé.
58 Ils le contrarièrent par leurs hauts lieux,
ils provoquèrent sa jalousie par leurs statues.
59 Dieu entendit, et il s’emporta ;
il rejeta complètement Israël.
60 Il délaissa la demeure de Silo,
la tente où il demeurait parmi les hommes ;
61 il livra sa puissance à la captivité
et sa splendeur à l’adversaire.
62 Il livra son peuple à l’épée
et s’emporta contre son patrimoine.
63 Un feu dévora ses jeunes gens,
et ses jeunes filles ne reçurent pas d’hommages ;
64 ses prêtres tombèrent par l’épée,
et ses veuves ne pleurèrent pas.
65 Le Seigneur s’éveilla comme quelqu’un qui a dormi,
comme un héros rendu triomphant par le vin.
66 Il frappa les arrières de ses adversaires,
il les couvrit de déshonneur pour toujours.
67 Cependant il rejeta la tente de Joseph,
il ne choisit pas la tribu d’Ephraïm.
68 Il choisit la tribu de Juda,
le mont Sion qu’il aimait.
69 Il bâtit son sanctuaire comme les lieux élevés,
comme la terre qu’il fonde pour toujours.
70 Il choisit David, son serviteur ;
il le prit dans les bergeries ;
71 il le prit derrière les brebis qui allaitent,
pour lui faire paître Jacob, son peuple,
et Israël, son patrimoine.
72 Et David les fit paître avec un coeur intègre
et il les conduisit avec des mains habiles.

Ce qui a retenu mon attention, c’est la citation de Joseph/Ephraïm au verset 67 (qui se trouve d’ailleurs au cœur d’un beau chiasme). Ces tribus sont ici opposées à la tribu de Juda. Juda est choisi, alors que Ephraïm est rejeté. Comment comprendre cela ?

Premièrement, on pourrait faire le lien avec la mention d’Ephraïm dans le verset 9 de notre Psaume : Les fils d'Ephraïm, armés et tirant à l'arc, tournèrent le dos au jour du combat. Il est cependant difficile de dire à quel événement se réfère ce verset, et hasardeux d’y voir la raison d’un rejet dont on ne sait pas plus.

Deuxièmement, le lecteur attentif des prophètes, et notamment du prophète Osée sait que le nom d’Ephraïm peut désigner Israël, c’est-à-dire le royaume du nord. En ce sens, l’opposition avec Juda, royaume du sud, fait sens. Ceci étant observé, Osée dira toujours Ephraïm et non pas la tribu d’Ephraïm. De plus, l’association avec Joseph est inconnue d’Osée. Un autre argument me fait penser que ce n’est pas la clé à l’énigme : comme on le voit aux versets 70 et suivants, le choix de Juda est lié au choix de l’homme David lui-même comme roi sur Israël. Le rejet d’Ephraïm semble donc se situer avant ce choix. Par conséquent, il semble difficile de voir en Ephraïm une représentation des tribus du nord et dans son rejet la destruction du royaume d’Israël. Certes, l’auteur peut avoir pris ses libertés avec l’ordre chronologique des événements, mais cela semble peu probable dans un psaume historique.

Troisièmement, on pourrait donc chercher la raison du rejet dans les événements précédant l’arrivée de David. Or, je ne l’y ai pas trouvée. Certes, la tribu d’Ephraïm joue un certain rôle dans le livre des Juges (elle a un conflit avec Gédéon (Jg 8.1ss), et elle se fait massacrer par Jephté dans une guerre civile sans pitié (Jg 12.4ss)), mais il ne semble pas y avoir eu un désaveu particulier de Dieu à l’égard de cette tribu.

Quatrièmement, je me suis dit qu’il faut peut-être voir derrière Ephraïm et Joseph le petit frère de Joseph, Benjamin, lui aussi fils de Rachel. Ce serait donc une manière détournée de désigner le rejet de la tribu de Benjamin en la personne de Saül. Mais cela ne semble guère convaincant, car nulle part ailleurs on trouve Saül associé à Ephraïm, et ce d’autant plus que la tribu de Benjamin avait son territoire tout près de Juda, au sud.

Finalement, j’ai trouvé une autre piste. Peut-être le psalmiste raisonne-t-il en termes de sanctuaires. En effet, au verset 60, il est dit que Dieu délaissa la « demeure », c’est-à-dire le sanctuaire, de Silo, qui se trouvait en effet dans le territoire d’Ephraïm (Jg 21.19). Or le verset 69, qui suit la mention du choix de Juda et de Sion, fait lui aussi référence à un sanctuaire.

Le rejet d’Ephraïm serait donc le retrait du sanctuaire de son territoire et le choix de Juda l’installation du Temple à Jérusalem. Si la réponse est là, on constate donc que s’entrelacent deux mouvements entre lesquels je n’avais pas vraiment fait le lien jusque-là : le sanctuaire national se déplace de Silo vers Jérusalem/Sion, alors que la royauté est enlevée à Saül et donnée à David.

Il est certain que ces mouvements ne sont pas tout à fait parallèles, ni simultanés. Saül est un Benjaminite, pas un fils d’Ephraïm. Et les changements ne sont pas synchronisés. La fin du temple de Silo semble se situer au moment où l’on enlève le coffre de l’alliance pour l’utiliser à des fins guerrières (1 S 4.4), ce qui se termine dans une catastrophe. Le coffre est même temporairement perdu, puis installé à Qiriath-Yéarim, dans la maison d’un certain Abinadab (1 S 7.1). Au moment où Saül devient roi, le coffre est à Qiriath-Yéarim depuis plus de vingt ans (1 S 7.2). Et il y reste jusqu’à ce que David le fasse venir à Jérusalem, la nouvelle capitale (2 S 6).

Mais il y a quelque chose d’assez cohérent dans ces deux mouvements. Le changement du temple est lié à l’échec de la prêtrise sous Eli et ses fils. Le changement de dirigeant est lié à l’échec de la royauté sous Saül. Dieu reprend les deux institutions en main et les fait converger vers David à Jérusalem. Ceci étant dit, la convergence est encore incomplète : David ne sera pas souverain sacrificateur.

Il faudra attendre encore un millénaire pour voir surgir celui qui réunit en sa personne l’office de roi et celui de prêtre. Et qui est le nouveau Temple. Mais c’est une autre histoire.

mercredi 27 mai 2009

Au-delà de la terreur

Dans mon billet précédent, j’ai rassemblé les textes bibliques comportant une référence à la natation. Parmi ces textes, il y en a un qui ne m’a pas laissé indifférent. Il fait partie des prophéties d’Esaïe à l’encontre des nations païennes. Après avoir décrit le banquet (surprenant !) auquel Dieu convie certaines nations (Es 25.6-9), le prophète décrit le sort peu enviable qu’attend l’orgueilleux Moab :

En ce jour-là on dira : C’est lui, notre Dieu ! Nous avons mis notre espérance en lui et il nous a sauvés. C’est YHWH, en qui nous avons espéré : soyons dans l’allégresse, réjouissons-nous de son salut ! Car la main de YHWH s’est posée sur cette montagne ; et Moab est foulé sur place, comme la paille est foulée dans une mare à fumier ; au milieu de cette mare il tend les mains, comme le nageur les tend pour nager ; mais [YHWH] abaisse son orgueil, malgré les manœuvres astucieuses de ses mains. Il renverse, il abaisse les fortifications élevées de tes murs, il leur fait toucher terre, jusque dans la poussière. (Es 25.9-12)

En lisant les prophètes, on s’habitue à voir côte à côte des textes où la louange éclate et des passages où le jugement divin est annoncé. Ce qui m’a frappé dans ce passage, c’est la transition abrupte de la louange du Sauveur divin vers une description de la punition de Moab, description qui semble d’ailleurs nourrir cette louange, et surtout la violence inouïe de l’image. Aucun doute, le temps de la patience est révolu. Le jugement de Dieu tombe. Moab est dépeint comme nageant dans une mare à fumier, littéralement dans une eau de fumier. Il essaie de s’en sortir, de surnager, il multiplie les manœuvres, mais Dieu ne lui laisse aucune chance. Sa main pèse sur le nageur et va l’écraser dans le fumier. Quand Dieu exécute son jugement, il n’y va pas de main morte.

Combien on comprend l’auteur de l’épître aux Hébreux quand il dit : Il est terrible de tomber aux mains du Dieu vivant. (Hb 10.31)

Heureusement, des inscriptions au banquet sont encore possibles.

lundi 25 mai 2009

Petit traité de natation biblique

Quiz pour connaisseurs confirmés de la Bible : quels sont les textes bibliques où l’on nage ?

• Il y a bien sûr le récit de Simon Pierre qui se rend compte que le Christ ressuscité se trouve au bord du lac et qui le rejoint à la nage. Mais à regarder de près, le texte en question (Jn 21.7) ne comporte pas le verbe ‘nager’ : Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C’est le Seigneur ! Quand Simon Pierre eut entendu que c’était le Seigneur, il attacha son vêtement à la ceinture – car il était nu – et il se jeta (έβαλεν) à la mer.

• Sauf erreur, le seul passage dans le NT qui évoque l’action de nager, se trouve dans les Actes des apôtres. Paul est sur le point d’être transféré à Rome, quand le bateau qui le transporte rencontre des difficultés. La situation est critique : Les soldats avaient décidé de tuer les prisonniers, de peur que l’un d’eux ne s’échappe à la nage (εκκολυμβήσας). Mais le centurion, qui était décidé à sauver Paul, les a empêchés de mettre leur décision à exécution. Il a donné l’ordre à ceux qui savaient nager (κολυμβαν) de se jeter les premiers à l’eau pour gagner la terre. (Ac 27.42s)

• Jonas, malgré ses aventures maritimes, ne semble pas avoir eu à nager. A peine jeté dans l’eau par ses compagnons d’infortune, il est avalé par le fameux poisson : … ils prirent Jonas et le lancèrent à la mer, et la fureur de la mer s'arrêta. […] YHWH fit intervenir un grand poisson qui engloutit Jonas, …. (Jon 1.15 ; 2.1) Et la fin de l’épisode est résolument sèche : YHWH parla au poisson, qui vomit Jonas sur la terre ferme. (Jon 2.11)

• Sinon, dans l’AT, il y a une vision magnifique d’Ezéchiel. Le prophète examine un fleuve qui sort du Temple et qui devient de plus en plus profond. [L’homme] mesura encore mille coudées ; c’était un torrent que je ne pouvais traverser, car l’eau était si profonde qu’il fallait y nager (שָׂחוּ ; l’hébreu utilise ici le nom natation et non pas le verbe) ; c’était un torrent qu’on ne pouvait traverser. (Ez 47.5)

• Le verbe nager (שׂחה) apparaît deux fois dans l’AT. Une fois dans sous une forme quelque peu cachée, dans le Psaume 6, verset 7 : Je me fatigue à force de gémir / chaque nuit je baigne (אַשְׂחֶה) mon lit de mes pleurs / j’arrose mon lit de mes larmes. La forme du verbe (hifil) est la forme causative : à titre d’exemple, le hifil du verbe ‘sortir’ exprime l’action de ‘faire sortir’. Selon le dictionnaire de Reymond le hifil de ‘nager’, c’est ‘obliger à nager’ et par extension ‘inonder’. On aurait donc pu préférer la traduction j’inonde mon lit de mes pleurs.

• Le verbe apparaît aussi dans un oracle d’Esaïe contre Moab (Es 25.10-12). Mais comme ce texte est aussi impressionnant que peu connu, je lui consacrerai un billet à part.

• Enfin, pour être complet, dans certaines traductions de la Bible (comme par exemple la NBS), un verset d’Ezéchiel où Dieu menace le pharaon (Ez 32.6) est traduit par : j’arroserai de ton sang le pays où tu nages, jusqu’aux montagnes, tu rempliras tes ravins. Mais le mot qui est traduit ici par où tu nages (צָפתְךָ) est un mot qui n’apparaît qu’une fois dans l'AT et n’a probablement rien à voir avec l’action de nager. Il pourrait se référer à des excréments. Block pense que l’image montre « la terre qui boit les excréments, le sang et d’autres fluides corporels qui se déversent quand un animal est abattu ». Tout baigne ...

jeudi 21 mai 2009

La valse des tribus

J’ai enfin trouvé le temps de me livrer à un exercice qui me tente depuis longtemps : comparer l’ordre dans lequel apparaissent les douze tribus d’Israël dans les différents textes de l’Ecriture. Voici le résultat graphique de mes recherches (cliquez sur l'image pour la voir en plus grand) :
Comme le montre mon graphique, la situation est complexe, et on pourrait sans doute passer beaucoup de temps à l’analyser. Voici quelques observations sur le vif :

• La première ligne montre l’ordre de naissance, tel qu’il apparaît dans Gn 29. Ce qui me surprend, c’est que cet ordre n’est repris ne serait-ce qu’une fois dans les textes ultérieurs.

• Mon impression générale est que l’ordre des mères de Gn 35 : Léa – Rachel – Bilha – Zilpa, est souvent sous-jacent, mais qu’il est souvent perturbé par des considérations autres.

• Il n’y a pas douze tribus, mais treize, car Joseph est souvent divisé en Ephraïm et Manassé. Mais là encore, la chose n’est pas simple. Du fait que la moitié de la tribu de Manassé est installée en Transjordanie, Manassé peut apparaître deux fois dans la liste (1 Ch). Plus étonnant encore, l’Apocalypse passe sous silence Ephraïm et cite Manassé et … Joseph ! D’ailleurs, dans la Torah, Josué et les Juges, Ephraïm précède toujours Manassé (à une exception près : Nb 26), mais dans les textes ultérieurs (1 Ch, Ez), cet ordre n’est pas toujours respecté.

• Ruben, l’aîné, est toujours cité en premier dans les textes anciens, mais il finit par perdre cette position prédominante. Peu à peu, Juda creuse son sillon et se met en pole position. C’est une constante dans l’Ecriture : ce n’est jamais le premier-né qui l’emporte, Dieu aime à renverser l’ordre de naissance.

• Souvent, c’est Lévi qui n’est pas cité dans la liste, car cette tribu a un rôle à part. Cette disparition permet de présenter une liste de douze. Quand Lévi est cité, on remplace Ephraïm et Manassé par Joseph, ou l’on donne une liste de treize. Là encore, l’Apocalypse fait bande à part. Elle cite Lévi, Joseph et Manassé, mais elle omet Dan, pour des raisons qui ne coulent pas de source.

• La seule citation nominative des douze tribus dans le Nouveau Testament est donc assez particulière. Mais non seulement le contenu de la liste est étonnant, l’ordre des noms l’est aussi. Aser et Nephtali apparaissent assez tôt dans la liste (c’est vrai aussi chez Ezéchiel, mais dans une liste un peu spéciale, comme on le verra) alors que Siméon, qui a habituellement une place de choix, est reléguée à une place moins en vue.

• Les listes données par Ezéchiel sont aussi très intéressantes. Celle de Ez 47 est très différente de l'ordre habituel. Ceci se comprend aisément, car les places de choix sont au centre de la liste (les tribus du centre sont installées le plus près du sanctuaire). La liste donnée dans le chapitre 48 est très différente de celle du chapitre précédent et correspond davantage à l’ordre habituel.

• La taille respective des tribus, telle qu’elle apparaît dans les Nombres (voir les deux dernières lignes de mon graphe) ne semble pas jouer dans l’ordre qui leur est attribué dans les différents textes. Dan est une tribu numériquement importante, mais elle se trouve toujours reléguée à une des dernières places. D’ailleurs, ces deux recensements permettent de constater une diminution spectaculaire de la tribu de Siméon.

• Auriez-vous vu d’autres éléments intéressants dans mon tableau ?

mardi 19 mai 2009

Des heures et des heures

En réfléchissant encore au nombre 24 dans l’Apocalypse (voir mon précédent billet à ce sujet), il m’est venu à l’esprit que ce nombre pourrait aussi correspondre au nombre d’heures d’un jour. Le nombre suggérerait ainsi la totalité.

J’ai alors découvert que je ne savais pas pourquoi un jour a 24 heures, ni même si les Hébreux avaient un jour à 24 heures.

Renseignements pris, il semblerait que la naissance des jours à 24 heures se situe en Mésopotamie, plusieurs millénaires avant l’ère chrétienne. La division en 24 se serait imposée du fait qu’elle est particulièrement commode, car elle permet de désigner très facilement la moitié, le tiers et le quart du jour ou de la nuit. Toujours selon mes sources, les Hébreux auraient adopté cette façon de diviser la journée lors de leur exil babylonien.

Pour y voir un peu plus clair, j’ai fait le tour de tous les versets bibliques – il y en a une centaine – qui comportent le mot « heure ». Lorsqu’on fait cette recherche dans une traduction française, on s’égare vite. En effet, la plupart du temps quand on y trouve le mot « heure » dans les traductions des textes de l’AT, il traduit l’hébreu עֵת, qui se traduit d’habitude par « temps » ou « moment ». On ne s’étonnera donc pas que cette « heure » désigne un moment plus ou moins précis de la journée, comme l’heure où les femmes sortent pour puiser l’eau (Gn 24.11) ou l’heure du repas (Rt 2.14), pour ne citer que deux exemples. Chez Jérémie, on trouve l’expression plus précise heure de midi (Jr 20.16). Le terme araméen qui désigne l’heure au sens moderne (שָׁעָה) – et qui est le mot pour « heure » en hébreu moderne – apparaît à six reprises dans le livre de Daniel, mais plutôt dans le sens « instant ».

Le mot ώρα a cette même signification de « moment » dans bon nombre de textes du NT. On y parle, par exemple, de l’heure où le voleur doit venir (Lc 12.39), ou de l’heure du dîner (Lc 14.17 ; cf. Lc 22.14). Jésus dit à la Samaritaine : L’heure vient où … (Jn 4.21). C’est également dans ce sens qu’il nous est dit Jean prenait Marie chez lui dès cette heure-là (Jn 19.27).

L’heure peut également désigner le moment décisif : L’heure s’est approchée; le Fils de l’homme est livré aux pécheurs. (Mt 26.45 ; Mc 14.41 ; cf. Jn 16.4,21). On trouve ce sens notamment chez Jean : Mon heure n’est pas encore venue (Jn 2.4). Le caractère dramatique de l’instant est particulièrement mis en valeur dans l’expression dernière heure que Jean utilise une fois : Mes enfants, c’est la dernière heure; vous avez entendu dire qu’un antichrist vient, et il y a maintenant beaucoup d’antichrists : de là nous savons que c’est la dernière heure. (1 Jn 2.18)

Le mot a parfois un sens plus technique et précis. Dans une parabole, on se plaint de gens qui n’ont travaille qu’une heure (Mt 20.12) et Jésus reproche aux disciples de n’avoir pas su veiller une heure avec lui (Mt 26.40 ; Mc 14.37). Plusieurs textes de la main de Luc montrent le souci de précision temporelle : Après un intervalle d’environ une heure … (Lc 22.59) ; Environ trois heures plus tard, … (Ac 5.7) ; … pendant près de trois heures (Ac 19.34). Le sens précis semble également visé dans la parole Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul. (Mt 24.36 ; Mc 13.32). Voir aussi Ap 17.12 où les rois reçoivent le pouvoir pendant une seule heure (mais cette durée semble avoir un caractère symbolique).

Toujours dans l’Apocalypse, on trouve un verset très intéressant, comportant une subdivision de l’heure : Quand il ouvrit le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d’environ une demi-heure (ημίωρον ; Ap 8.1). On m’a dit que c’était la citation donnant la précision temporelle la plus fine de tous les textes de l’Antiquité qui nous sont connus.

Une innovation du NT par rapport à l’AT, c’est le décompte des heures. Ainsi on évoque la troisième (Mt 20.3 ; Mc 15.25 ; Ac 2.15), la sixième (Mt 27.45 ; Mc 15.33 ; Lc 23.44 ; Jn 4.6 ; 19.14 ; Ac 10.9), la septième (Jn 4.52) la neuvième (Mt 20.5 ; 27.45s ; Mc 15.33s ; Lc 23.44 ; Ac 10.3,30 ; NB : c’est l’heure de la prière : Ac 3.1), la dixième (Jn 1.39) et l’onzième heure (Mt 20.6,9). On notera que les multiples de trois reviennent le plus fréquemment, peut-être parce que la mesure du temps était difficile et que les intervalles de trois heures constituaient un repère plus pratique que l’heure à l’unité.

Chez Jean, on trouve un texte fort intéressant qui atteste de la division de la journée en 12 heures : Jésus répondit : N’y a-t-il pas douze heures dans le jour ? Si quelqu’un marche de jour, il ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde … (Jn 11.9) Que la même division s’appliquait à la nuit semble se refléter dans Ac 23.23 qui fait allusion à la troisième heure de la nuit.

Pour revenir à notre point de départ : le nombre des anciens s’inspire-t-il des 24 heures du jour ? Sur la base de ce que nous venons de voir, je dirais que cela n’est pas exclu, mais que c’est somme toute peu probable. Si, techniquement parlant, les habitants de la région méditerranéenne du début de notre ère avaient un jour de 24 heures, ils semblent avoir raisonné plutôt en jours de douze heures, suivis de nuits de 12 heures. Le nombre 24 n’aurait donc, selon toute vraisemblance, pas été associé avec le nombre d’heures du jour.

vendredi 15 mai 2009

Sexe, culte et impureté

Je suis toujours surpris quand on accuse la foi chrétienne d’être hostile à la sexualité. Une foi qui compte un ouvrage sensuel (pour ne pas dire érotique) comme le Cantique des cantiques parmi ses textes sacrés ne semble pas mériter ce reproche. Et même si des chrétiens ont pu être sérieusement « coincés » (y compris des théologiens de génie comme St Augustin, que son platonisme a poussé sur cette voie), un retour aux sources les aurait protégés.

Il n’est pas moins vrai que certains textes de l’Ecriture semblent, à première lecture, suggérer que la sexualité est sale. Je pense notamment à ce texte du Lévitique :

Lorsqu’un homme a des rapports sexuels avec une femme, ils se laveront avec de l’eau et seront impurs jusqu’au soir. (Lv 15.18)

Gordon Wenham, à qui j’ai fait allusion dans un billet précédent, associe l’impureté à la mort. Pour lui, les pertes corporelles (sang, sperme) signifient que la personne a perdu un peu de sa vie qui était en elle, ce qui la rapproche de la mort. Je suis mal à l’aise avec cette théorie qui me fait davantage penser aux concepts animistes qu’à la théologie biblique. Et même si on l’admet, les rapports sexuels ne rendraient impur que l’homme, pas sa partenaire. Plus généralement, je ne vois pas comment on arriverait par ce biais à la conclusion que la sexualité rend impur, alors que la sexualité est intrinsèquement liée à la procréation (et donc à la vie), bien plus qu’à la mort.

Mon explication est plus (peut-être trop) simple. Comme je l’ai déjà dit, je pense que la notion d’impureté est liée à l’aptitude au culte. Je pense que Dieu a voulu éviter qu’Israël penche du côté des cultes de fertilité, omniprésents en Canaan. Ces cultes associaient la sexualité au culte, comme en témoigne l’institution de la prostitution sacrée. En déclarant impur, et donc inapte au culte, celui qui vient d’avoir des rapports sexuels, Dieu a érigé un garde-fou puissant contre toute dérive « fertilisante ».

Si j’ai raison, le texte du Lévitique ne dit donc rien sur la pureté ou la saleté de la sexualité en tant que telle. Il érige simplement un mur de la séparation entre sexe et culte. La sexualité se trouve désacralisée, le culte désexualisé. Celui qui en tire la conclusion que la sexualité est quelque chose de sale, fait preuve d’une légèreté exégétique coupable.

jeudi 14 mai 2009

"24" dans la Bible

… je fus [saisi] en esprit, et voici : un trône était disposé dans le ciel … Tout autour du trône, vingt-quatre trônes, et sur ces trônes, vingt-quatre anciens assis, vêtus de toges blanches. Sur leurs têtes, des couronnes d’or. (Ap 4.2,4)

Une des caractéristiques intéressantes des anciens que mentionne l’Apocalypse (a total, à 12 reprises !) est leur nombre : vingt-quatre.

Bon nombre de commentateurs concluent très rapidement que 24 = 12 + 12, la première douzaine étant liée aux 12 tribus d’Israël, la deuxième douzaine aux 12 apôtres. Cette lecture n’est pas infondée, surtout quand on lit la fin du livre où il est dit de la Nouvelle Jérusalem :

Elle avait une grande et haute muraille. Elle avait douze portes, et sur les portes douze anges. Des noms y étaient inscrits, ceux des douze tribus des Israélites : à l’est trois portes, au nord trois portes, au sud trois portes et à l’ouest trois portes. La muraille de la ville avait douze fondations; elles portaient les douze noms des douze apôtres de l’agneau. (Ap 21.12-14)

Ce qui est un peu gênant, c’est que cette clé de lecture n’est livrée qu’à la fin du livre, et que quelqu’un qui écoutait la lecture du livre n’y aurait pas forcément pensé. Et ce d’autant que cette association entre apôtres et tribus ne semble pas proposée ailleurs dans le NT. Tout au contraire. Chez Matthieu et Luc, nous lisons une parole intéressante de Jésus :

Jésus leur dit : Amen, je vous le dis, à vous qui m’avez suivi : à la Nouvelle Naissance, lorsque le Fils de l’homme s’assiéra sur son trône de gloire, vous aussi vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. (Mt 19.28 cf. Lc 22.30)

La proximité avec la scène des chapitres 4 et 5 de l’Apocalypse est frappante, mais ici, non seulement les apôtres ne partagent pas les trônes avec les représentants des tribus, mais c’est précisément les apôtres qui jugent les tribus. Dans une optique d’association entre patriarches et apôtres, on aurait pensé que ce serait aux patriarches de juger les 12 tribus et aux apôtres de juger les hommes et femmes de la nouvelle alliance.

Je crois que c'est Brütsch qui a signalé, non sans humour, que si douze des anciens sont les douze apôtres, et si l’auteur de l’Apocalypse est l’apôtre Jean (ce qui me semble probable), Jean serait en train de se regarder lui-même assis sur un trône.

Je me suis donc intéressé à la question de savoir si le nombre 24, qui a une importance certaine pour les numérologues (24 = 2 x 12 = 3 x 8 = 4 x 6), apparaît ailleurs dans la Bible.

Une recherche sommaire montre que 24 est :
  • le nombre de bœufs offerts par les 12 tribus (Nb 7.88) ;
  • le nombre de milliers de morts suite à la faute d’Israël avec les femmes madianites (Nb 25.9) ;
  • le nombre de doigts des mains et des pieds d’un géant tué par un neveu de David (2 S 21.20 ; 1 Ch 20.6) ;
  • la durée en années du règne d’Asa, roi de Juda (1 R 15.33) ;
  • le nombre de classes de prêtres (1 Ch 24.1-18) ;
  • le nombre de postes de chanteurs-prophètes-musiciens du Temple (1 Ch 25.1-31) ;
  • le jour du mois de plusieurs événements rapportés (le 24e jour du … 1er mois : Dn 10.4 ; 6e mois : Ag 1.15 ; 7e mois : Né 9.1 ; 9e mois : Ag 2.10,18 ; 11e mois : Za 1.7).
Aucun de ces exemples emporte la conviction d’une parenté avec le nombre des anciens dans l’Apocalypse, à l’exception peut-être des 24 classes de prêtres, et dans une moindre mesure, des 24 postes de chanteurs. Il est possible qu’outre une allusion aux deux douzaines, Jean ait voulu faire allusion aux classes de prêtres dans le Temple. Il y aurait donc autant d’anciens (qui sont des rois-prêtres) dans les lieux célestes qu’il y a eu de classes de prêtres dans le Temple de Jérusalem.

lundi 11 mai 2009

Chair de ma chair

Alors YHWH-Dieu (יְהוָה אֱלהִים) fit tomber une torpeur sur l’homme, qui s’endormit ; il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. YHWH-Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise à l’homme, et il l’amena vers l’homme. L’homme dit :
« Cette fois / c’est os de mes os / chair de ma chair.
Celle-ci, on l’appellera « femme » / car [c’est] de l’homme / [qu’]elle a été prise. »

(Gn 2.21-23)

Chair de ma chair … L’autre jour, en prenant l’avion, j’ai feuilleté un exemplaire de la FAZ, un journal allemand de renom. J’y suis tombé sur un poème de Heiner Müller, qui a repris ce thème d’une manière insoupçonnée, en évoquant la maladie qui a fini par le tuer. Je cite ce texte poignant dans l’original allemand et je tente une traduction pour ceux qui ne maîtriseraient pas la langue de Goethe.


Ich kaue die Krankenkost

Ich kaue die Krankenkost der Tod
Schmeckt durch
Nach der letzten
Endoskopie in den Augen der Ärzte
War mein Grab offen Beinahe rührte mich
Die Trauer der Experten und beinahe
War ich stolz auf meinen unbesiegten
Tumor
Einen Augenblick lang Fleisch
Von meinem Fleisch

Je mâche la nourriture des malades

Je mâche la nourriture des malades la mort
Se sent à travers
Après la dernière
Endoscopie aux yeux des médecins
Ma tombe était ouverte J’étais presque touché
Par la tristesse des experts et presque
J’étais fier de mon invaincue
Tumeur
Un instant durant chair
De ma chair.

dimanche 10 mai 2009

Prêtres s'abstenir

Quand je visite un pays, j'essaie toujours de voir aussi un cimetière. On apprend beaucoup sur une culture en voyant comment elle traite ses morts. Parmi tous les cimetières qu'il m'a été donné de voir, ceux qui m'ont le plus impressionné, ce sont les cimetières juifs. Ceux de Prague ou de Lodz (en Pologne) sont des endroits que je n'oublierai jamais.

En visite à Amsterdam, je me suis donc naturellement rendu au cimetière judéo-portugais Beth Haim d'Ouderkerk sur l'Amstel, tout près de l'aéroport de la capitale. Bien que difficile d'accès, le cimetière vaut bien le détour. Là encore, j'ai trouvé cette atmosphère tellement paisible. Comme si le lieu voulait compenser le destin atroce qu'ont subi certains de ses habitants ...

Outre la paix qui règne en ces lieux, c'est une petite pancarte qui a retenu mon attention. On y lit : "Geen toegang voor Kohaniem", ce qui veut dire, si je ne m'abuse : "Accès interdit aux Cohanim". Cohanim est le pluriel du mot hébreu Cohen et désigne les prêtres. L'interdit concerne donc les descendants des prêtres du Temple de Jérusalem (et notamment tous ceux qui portent le nom de famille Cohen).

Cet interdit est exprimé dans le livre du Lévitique, où nous lisons : YHWH dit à Moïse : Parle aux fils d'Aaron, les prêtres ; tu leur diras : Un prêtre ne se rendra pas impur parmi les siens pour un mort, excepté pour ses plus proches parents ... Le prêtre qui a la supériorité sur ses frères, celui sur la tête duquel a été versée l'huile de l'onction (...) il n'ira vers aucun mort ..." (Lv 21.1-2,10-11)

Comment comprendre cet interdit ? Pourquoi le contact avec un mort rend-il impur ? J'ai récemment lu un article dans un Dictionnaire de Théologie Biblique qui voit dans la mort la clé à toute impureté. La notion d'impureté exprimerait la proximité de la mort. J'ai du mal à adhérer à cette thèse, qui est condamnée à des rapprochements hasardeux pour expliquer, par exemple, pourquoi la sexualité est génératrice d'impureté (on y reviendra dans un autre billet).

Pour ma part, je propose une explication plus simple. Telle que je comprends la notion d'impureté, elle exprime l'inaptitude à rendre un culte. Lorsque je suis impur, je ne suis pas en mesure de rendre un culte agréé par Dieu. Et le contact avec un mort rend impur, parce que Dieu a voulu éviter à tout prix que les morts s'introduisent dans le culte, comme cela se fait tout naturellement dans les systèmes païens. En déclarant impur celui qui a été en contact avec un mort, le texte biblique met un coup d'arrêt définitif à ce genre de dérives.

dimanche 3 mai 2009

Jésus, fils de Lévi ?

Dans un précédent billet, j’ai mentionné la possibilité que Jésus ne soit fils de David que par son père adoptif, et que sa mère Marie était une descendante de la tribu de Lévi. En lisant l’épître aux Hébreux, j’ai compris pourquoi ce détail, à supposer qu’il soit vrai, est passé sous silence dans les Ecritures.

En effet, l’auteur de l’épître aux Hébreux démontre que l’œuvre de Jésus constitue une rupture avec la prêtrise de l’Ancienne Alliance :

Si donc l’accomplissement avait été par le sacerdoce lévitique, – car c’est sur lui que repose la loi donnée au peuple – quel besoin y aurait-il eu encore que se lève un autre prêtre selon l’ordre de Melchisédek, et non pas selon l’ordre d’Aaron ? En effet, lorsque le sacerdoce est changé, il y a nécessairement aussi un changement de loi. Car celui à qui s’appliquent ces paroles appartient à une autre tribu, dont personne n’a été attaché au service de l’autel. En effet, il est notoire que notre Seigneur est issu de Juda, tribu dont Moïse n’a rien dit concernant les prêtres. Cela devient plus évident encore quand se lève, à la ressemblance de Melchisédek, un autre prêtre qui l’est devenu, non par la loi d’un commandement relatif à la chair, mais par la puissance d’une vie indestructible. Car ce témoignage lui est rendu : Tu es prêtre pour toujours selon l’ordre de Melchisédek. En effet, il y a, d’une part, suppression d’un commandement antérieur à cause de sa faiblesse et de son inutilité – car la loi n’a rien porté à son accomplissement – et, d’autre part, introduction d’une espérance supérieure, par laquelle nous nous approchons de Dieu. (Hb 7.11-19)

Jésus est bel et bien prêtre, mais un prêtre d’un type différent de – et supérieur à – la prêtrise lévitique : prêtre selon l’ordre de Melchisédek.

Je me souviens de ma prof d’ivrit qui me taquinait en disant que nous chrétiens avions dénaturé les Ecritures en faisant de Melchisédek un personnage de premier plan, alors qu’il n’apparaît que dans un fait divers de la Genèse. Mais ce n’est pas tout à fait vrai. Ne lit-on pas dans le psaume 110, un texte clairement messianique :

Déclaration de YHWH à mon seigneur (לַאדנִי) :
Assieds-toi à ma droite,

jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied !

YHWH tendra de Sion le sceptre de ta puissance :
domine au milieu de tes ennemis !
[…]
YHWH l’a juré, il ne le regrettera pas :

Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Melchisédek
.
(Ps 110.1-2,4)

Jésus, fils de Lévi ? Peut-être, par sa mère.
Jésus prêtre selon Melchisédek ? Assurément, par le Père.

samedi 2 mai 2009

La main du père

par Laurent Brabant (*)

Dès les premiers siècles, l'Eglise a élaboré ses propres images, ses propres codes, dans les catacombes romaines puis les églises. En se limitant aux images de Dieu, une curiosité saute aux yeux :

Si le Christ est abondamment représenté (en croix, en majesté, ...), ainsi que le Saint Esprit (la colombe), les images de Dieu le Père sont moins nombreuses. Dans l'iconographie chrétienne, Dieu le Père est le parent pauvre de la trinité. Comment l'expliquer ?

D'abord en revenant aux sources : Moïse reçoit de Dieu l'interdiction stricte de le représenter (Ex 20), confirmée par une magnifique parole : Je ferai passer devant toi toute ma bonté (...) mais tu ne pourras voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. (Ex 33.19-20). Pas étonnant donc que les artistes aient ressenti une gêne au moment de dessiner le Père. Au fil des siècles, plusieurs solutions se sont dégagées pour résoudre cette difficulté :

  • La plus classique (et la moins intéressante) est la représentation de Dieu le Père sous les traits d'un vieillard sur un nuage, par exemple dans les scènes d'Annonciation.
  • Plus rarement, le Père est dessiné avec les même traits que le Christ, qui affirme dans l'Evangile de Jean que celui qui m'a vu a vu le Père. Le Couronnement de la Vierge de Villeneuve lès Avignon (XVème siècle) est à ce titre éloquent : Père et Fils se font face, strictement identiques.
  • La troisième solution, peut-être la plus ingénieuse, a consisté à ne représenter que la main de Dieu : Main qui agrée le sacrifice d'Abel, qui retient le bras d'Abraham prêt à sacrifier son fils, qui donne à Moïse les tables de la Loi (elles-mêmes écrites du doigt de Dieu, Exode 31), ... Des mosaïques de Saint Vital de Ravenne (Vème s.) aux vitraux de Chagall conservés à Nice, les exemples ne manquent pas.

Quelles sont les particularités de cette main du Père ?

C'est une main ouverte, soit pour recevoir offrandes et prières et bénir ceux qui les font (Saint Vital de Ravenne), soit pour encadrer le paradis (lorsqu'elles sont deux, église de Cruas, Drôme).

C'est une main tendue vers l'homme, pour l'atteindre et lui transmettre un message (la Loi pour Moïse). On ne peut pas ne pas évoquer ici la main de Dieu peinte par Michelange sur la voûte de la Chapelle Sixtine, allongée à l'extrème pour toucher Adam et lui donner le souffle de vie : bien que Dieu soit représenté en entier sur son nuage, on ne « voit » que le geste magnifique de sa main.

C'est enfin une main qui désigne le Christ au spectateur, lors de son baptème ou de la transfiguration (Saint Apollinaire in Classe, Ravenne).

Une simple main ouverte, tendue vers l'homme, le symbole est beau : c'est un geste d'amour de Dieu. A Moïse qui veut « voir » celui qui l'appelle, Dieu répond affectueusement : Quand ma gloire passera, je te mettrai dans le creux du rocher et je te couvrirai de ma main. (Ex 31.22)

Mais aussi une main qui montre le Fils : en effet dans de nombreuses églises, à la main du Père « répond » la main percée du crucifié.

Nul n'a jamais vu Dieu, mais la Bible (et l'iconographie chrétienne) nous montre sa main : elle est ouverte pour donner, elle raconte l'histoire du salut.

(*) Article destiné à un journal des Eglises Libres, mis à notre disposition par l'auteur.

vendredi 1 mai 2009

Lèpre et pureté

Je me suis récemment intéressé au Lévitique et à certaines de ses stipulations concernant la pureté. Un exemple frappant se trouve au chapitre 13, consacré aux problèmes de « lèpre » (צָרָעַת en hébreu, terme que la Septante traduit par λέπρα). Il semblerait (même si tous les spécialistes ne sont pas d’accord) qu’il ne s’agit pas de la lèpre au sens moderne (aussi connue sous le nom de « maladie de Hansen », et qui est désignée par צָרָעַת en hébreu moderne !) mais de diverses maladies provoquant des manifestations cutanées. Certains auteurs y voient des maladies comme le psoriasis.

Ce que je trouve intéressant, ce n’est pas tant l’identification précise de ces maladies, mais leur rapport avec la pureté. En effet, certaines manifestations de la « lèpre » rendent impur.

Selon la Loi mosaïque, telle que je la comprends, est impur ce qui est ou rend inapte au culte. L’impureté est donc en opposition avec la notion de sainteté, c’est-à-dire la consécration à Dieu.

A en croire Lévitique 13, la « lèpre » dans certaines de ses formes rendait un homme impur, au point qu’il devait vivre hors du camp (Lv 13.45), séparé de son peuple, qui était lui appelé à être un peuple saint (Dt 7.6 ; 14.2,21 ;26.18 ;28.9 ; cf. Es 62.12 ; 63.18).

J’ai essayé de voir plus clair dans le chapitre 13 du Lévitique, mais je me suis heurté à une casuistique assez sèche, permettant au prêtre de distinguer des cas impliquant l’impureté de situations bénignes. A vrai dire, je n’aurais pas aimé être un prêtre appelé à statuer sur la base de ce texte, car les cas présentés sont loin d’être exhaustifs. Vu les conséquences dramatiques que pouvait avoir un verdict d’impureté, j’aurais aimé disposer d’un guide plus complet.

Le schéma général comprend une présentation des manifestations cutanées au prêtre. Certains symptômes (lésions profondes avec poils blancs, apparition de chair vive …) permettaient de conclure sans tarder à l’impureté, mais dans d’autres cas de figure le prêtre devait mettre le malade en quarantaine pour établir si le mal progressait, en quel cas l’impureté était établie.

Un des cas présentés a particulièrement retenu mon attention :

Lorsque quelqu’un présente un cas de « lèpre », on l’amènera au prêtre. Le prêtre l’examinera : s’il y a sur la peau une tumeur blanche, si cette tumeur a fait blanchir le poil, et qu’il y ait un bourgeonnement de chair vive dans la tumeur, c’est une « lèpre » invétérée dans sa peau; le prêtre le déclarera impur; il ne l’isolera pas : il est impur. Si la « lèpre » fait une éruption sur la peau et que le mal [נֶגַע : coup ; maladie fléau] couvre toute la peau, depuis la tête jusqu’aux pieds, partout où le prêtre regarde, le prêtre l’examinera : si la « lèpre » couvre tout le corps, il déclarera pur le mal [נֶגַע] : comme il est devenu entièrement blanc, il est pur. Mais le jour où l’on apercevra en lui de la chair vive, il sera impur; quand le prêtre aura vu la chair vive, il le déclarera impur : la chair vive est impure, c’est la « lèpre ». Si la chair vive change et redevient blanche, il ira vers le prêtre. Le prêtre l’examinera; si la lésion est redevenue blanche, le prêtre déclarera pur le mal : il est pur. (Lv 13.9-17)

C’est assez intrigant de voir que si la « lèpre » couvre tout le corps, le prêtre doit conclure à la pureté, à moins que de la chair vive fasse son apparition. Comment peut-on comprendre cela ?

Baruch Levine pense s’en sortir en considérant que la blancheur qui couvre tout le corps, c’est de la peu normale qui a recouvert les manifestations problématiques. J’avoue ne pas être convaincu par cette lecture qui ignore que c’est la maladie [נֶגַע] qui recouvre tout le corps. Gordon Wenham y voit plutôt un signe que la sainteté est liée à la complétude (wholeness). Là encore, je reste sceptique, car le prêtre doit également conclure à la pureté lorsqu’il y a des tâches qui n’évoluent plus et que le malade est, par conséquent, tacheté.

Je n’ai pas la prétention d’avoir trouvé le principe unificateur qui permettrait de comprendre l’ensemble du chapitre 13, mais il me semble que ce qui est commun aux cas de pureté qu’il énumère, c’est que le corps du malade reste intègre (pas d’apparition de chair vive, et donc de liquides corporels tel que le sang sur la peau) et que le mal n’évolue plus, soit parce que les tâches ne grossissent plus, soit parce que tout le corps est couvert et qu’il n’y a donc plus de possibilité d’évolution.

Peut-on en tirer une leçon spirituelle ? J’en suis bien incapable, mais par association d’idées, je dirais que les chrétiens ont un rôle purificateur dans le monde. Appelés à être sel de la terre (Mt 5.13), ils freinent la décomposition de la société, l’avancement du mal. En cela, même s’ils ne réussiront pas à rendre pure l’humanité, ils retardent le constat d’impureté.

L'impureté liée à la lèpre me fait également penser à Jésus qui n'a pas hésité à se rendre impur en touchant les lépreux. Ce sont nos souffrances qu'il a portées, c'est de notre impureté qu'il s'est chargé ...

Encore les tablettes

Dans un récent billet, j'ai évoqué la destruction du premier jeu de tablettes par Moïse. Je ne résiste pas à la tentation d'évoquer la révélation inouïe qu'un confrère bloggeur (http://www.reverendfun.com/) vient de faire à ce sujet :