samedi 2 mai 2009

La main du père

par Laurent Brabant (*)

Dès les premiers siècles, l'Eglise a élaboré ses propres images, ses propres codes, dans les catacombes romaines puis les églises. En se limitant aux images de Dieu, une curiosité saute aux yeux :

Si le Christ est abondamment représenté (en croix, en majesté, ...), ainsi que le Saint Esprit (la colombe), les images de Dieu le Père sont moins nombreuses. Dans l'iconographie chrétienne, Dieu le Père est le parent pauvre de la trinité. Comment l'expliquer ?

D'abord en revenant aux sources : Moïse reçoit de Dieu l'interdiction stricte de le représenter (Ex 20), confirmée par une magnifique parole : Je ferai passer devant toi toute ma bonté (...) mais tu ne pourras voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. (Ex 33.19-20). Pas étonnant donc que les artistes aient ressenti une gêne au moment de dessiner le Père. Au fil des siècles, plusieurs solutions se sont dégagées pour résoudre cette difficulté :

  • La plus classique (et la moins intéressante) est la représentation de Dieu le Père sous les traits d'un vieillard sur un nuage, par exemple dans les scènes d'Annonciation.
  • Plus rarement, le Père est dessiné avec les même traits que le Christ, qui affirme dans l'Evangile de Jean que celui qui m'a vu a vu le Père. Le Couronnement de la Vierge de Villeneuve lès Avignon (XVème siècle) est à ce titre éloquent : Père et Fils se font face, strictement identiques.
  • La troisième solution, peut-être la plus ingénieuse, a consisté à ne représenter que la main de Dieu : Main qui agrée le sacrifice d'Abel, qui retient le bras d'Abraham prêt à sacrifier son fils, qui donne à Moïse les tables de la Loi (elles-mêmes écrites du doigt de Dieu, Exode 31), ... Des mosaïques de Saint Vital de Ravenne (Vème s.) aux vitraux de Chagall conservés à Nice, les exemples ne manquent pas.

Quelles sont les particularités de cette main du Père ?

C'est une main ouverte, soit pour recevoir offrandes et prières et bénir ceux qui les font (Saint Vital de Ravenne), soit pour encadrer le paradis (lorsqu'elles sont deux, église de Cruas, Drôme).

C'est une main tendue vers l'homme, pour l'atteindre et lui transmettre un message (la Loi pour Moïse). On ne peut pas ne pas évoquer ici la main de Dieu peinte par Michelange sur la voûte de la Chapelle Sixtine, allongée à l'extrème pour toucher Adam et lui donner le souffle de vie : bien que Dieu soit représenté en entier sur son nuage, on ne « voit » que le geste magnifique de sa main.

C'est enfin une main qui désigne le Christ au spectateur, lors de son baptème ou de la transfiguration (Saint Apollinaire in Classe, Ravenne).

Une simple main ouverte, tendue vers l'homme, le symbole est beau : c'est un geste d'amour de Dieu. A Moïse qui veut « voir » celui qui l'appelle, Dieu répond affectueusement : Quand ma gloire passera, je te mettrai dans le creux du rocher et je te couvrirai de ma main. (Ex 31.22)

Mais aussi une main qui montre le Fils : en effet dans de nombreuses églises, à la main du Père « répond » la main percée du crucifié.

Nul n'a jamais vu Dieu, mais la Bible (et l'iconographie chrétienne) nous montre sa main : elle est ouverte pour donner, elle raconte l'histoire du salut.

(*) Article destiné à un journal des Eglises Libres, mis à notre disposition par l'auteur.

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