jeudi 8 octobre 2009

Clap de fin

Après réflexion, j'ai décidé de mettre fin à ce blog.

Sept mois d'activité m'ont permis de voir les "pour" et les "contre".

Je trouve la tenue d'un blog stimulante, dans la mesure où la rédaction de billets permet de mettre ses idées par écrit, d'aller au bout de la démarche, de ne pas en rester à des éléments inachevés. Finalement, un blog, c'est un bon carnet de notes. Avec en plus un caractère public, ce qui oblige à un minimum de discipline dans la rédaction des notes.

Si j'arrête néanmoins, c'est que je n'ai pas réussi à intéresser d'autres à participer au projet. Du coup, mon blog avait quelque chose d'onanique, un côté étalage de connaissances, qui ne justifie pas l'investissement en temps et en énergie que le blog nécessite.

Vu le nombre très faible de gens de langue française qui s'intéressent à la théologie et qui prennent la Bible au sérieux, je me demande si cette entreprise n'était pas condamnée à rester très solitaire. Quand on regarde ce à quoi les chrétiens français s'intéressent (par exemple, en regardant quels sites sont les plus populaires sur TopChretien), on se rend compte que ce sont les sites de rencontres et la musique qui se taillent la part du lion.

Merci à tous ceux qui ont suivi ce blog. Bon vent et bon courage !

dimanche 4 octobre 2009

Blanche-Neige en Palestine


Comme il ne neige que rarement dans les pays chauds du Moyen Orient, on pourrait s’attendre à ce que la neige n’apparaisse que peu dans les textes bibliques. Qu’en est-il ?

Il est vrai que le nombre de textes qui évoquent la neige (hébreu : שֶּׁלֶג ; araméen : תְּלַג ; grec : χιων) est assez réduit ; j’en ai recensé 24. Dans 2 Samuel et dans les Chroniques, on nous parle d’un des héros de David, Benaya, fils de Joïada, qui descendit et abattit un lion dans une citerne, un jour de neige (2 Sa 23.20 ; 1 Ch 11.22). Un autre souvenir d’un jour neigeux se trouve dans les Psaumes. On y apprend qu’il neigeait sur le Tsalmôn – une montagne qu’on n’a pas encore identifiée avec certitude – lorsque Dieu y dispersa les rois.

Le livre de Job est le texte qui contient le plus grand nombre de références à la neige. Job évoque les courants d’eau assombris par la fonte des neiges (Jb 6.16), et il mentionne que la sécheresse et la chaleur tarissent les eaux de la neige (Jn 24.19). Il semble avoir connu la neige de près, car il évoque la possibilité de se laver dans la neige (Jb 9.30). Dans son grand discours météorologique, Elihou décrit l’action de Dieu qui dit à la neige : « Tombe sur la terre ! » (Jb 37.6). Dieu lui-même continue dans cette tonalité quand il demande à Job : Es-tu parvenu jusqu’aux réserves de neige ? As-tu vu les réserves de grêle ? (Jb 38.22).

Les psaumes s’intéressent également à l’action de Dieu sur la nature. Le psaume 147 nous dit que Dieu donne la neige comme de la laine, il répand le givre comme de la cendre (Ps 147.16). Le psaume suivant invite les forces de la nature à la louange, y compris feu et grêle, neige et brouillard, et toi, vent de tempête, qui exécutes sa parole … (Ps 148.8)

Les proverbes tirent quelques enseignements pratiques de l’observation de la neige. On y lit notamment : Comme la fraîcheur de la neige au temps de la moisson, tel est un émissaire sûr pour ceux qui l’envoient : il réconforte son maître (Pr 25.13), et : Pas plus que la neige en été, que la pluie pendant la moisson, la gloire ne convient à un homme stupide (Pr 26.1). On y apprend également que la femme de valeur ne craint pas la neige pour sa maison : toute sa maison est vêtue d’écarlate (Pr 31.21).

Chez les prophètes, les références à la neige sont rares. Esaïe écrit : Comme la pluie et la neige descendent du ciel et n’y reviennent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et fait germer, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui a faim. (Es 55.10) Jérémie nous fournit un renseignement intéressant quand il fait allusion à la neige du Liban (Jr 18.14). On peut en effet penser que c’est surtout la région du Golan qui permettait aux Israélites de contempler la blancheur de la neige.

Ce qui m’a le plus surpris dans mes recherches, c’est que la neige, malgré sa rareté dans les contrées bibliques, a durablement marqué la conscience collective, car elle est à la base d’une expression proverbiale que l’on rencontre d’un bout à l’autre de la Bible : « blanc comme la neige ».

Cette expression apparaît déjà dans des textes fort anciens. Dans l’Exode, Dieu accorde à Moïse un signe destiné à confirmer l’origine divine de sa démarche : YHWH lui dit encore : Mets ta main sur ta poitrine, je te prie. Il mit sa main sur sa poitrine; puis il la ressortit : sa main était couverte de « lèpre », elle était blanche comme de la neige (כַּשָּׁלֶג מְצרַעַת ; LXX : ωσει χιων). (Ex 4.6) En traduisant par « blanche comme de la neige », la NBS ajoute au texte. L’expression signifie littéralement « atteint de lèpre comme neige ». La blancheur est implicite.

Idem pour la punition de Miriam dans les Nombres : La nuée se retira d’au-dessus de la tente : Miriam était couverte de « lèpre », elle était blanche comme la neige (כַּשָּׁלֶג מְצרַעַת ; LXX : λεπρωσα ωσει χιων). Aaron se tourna vers Miriam : elle était couverte de « lèpre » ! (Nb 12.10)

L’expression apparaît encore dans 2 R 5.27 où il est dit que Guéhazi, le serviteur d’Elisée était couvert de « lèpre », il était blanc comme la neige (כַּשָּׁלֶג מְצרָע ; LXX : λελεπρωμενος ωσει χιων), en punition de son avidité.

Jusque là, la couleur « neige » est donc associée à la lèpre. Il en est autrement chez Esaïe (1.18 : … Quand vos péchés seraient comme l’écarlate, ils deviendraient blancs comme la neige (יַלְבִּינוּ כַּשָּׁלֶג ; LXX : ως χιονα λευκανω) …)

Il faut aussi citer le psaume 51.9 (… Ote mon péché avec l’hysope, et je serai pur / lave-moi, et je serai plus blanc que la neige (אַלְבִּין וּמִשֶּׁלֶג ; LXX : υπερ χιονα λευκανθησομαι) …). On notera que l’expression a changé ; le verbe לבן (« rendre blanc » ou « devenir blanc ») est utilisé, et l’état spirituel du pécheur n’est pas assimilé à de la neige (comme) mais distingué de celle-ci (plus … que).

La situation est un peu différente pour Lm 4.7 (… ses nazirs étaient plus purs que la neige (מִשֶּׁלֶג ; LXX : υπερ χιονα) / plus blancs que le lait ...) ; le terme traduit par ‘blanc’ (צַח ; LXX : ελαμψαν) se traduit habituellement par ‘clair’ ou ‘éblouissant’.

On trouve l’expression encore chez Daniel 7.9 (… et un vieillard s’assit. Son vêtement était blanc comme la neige (חִוָּר כִּתְלַג ; Rahlfs donne deux variantes pour la LXX : ωσει χιονα et ωσει χιων λευκον) …)

Dans le NT, j’ai trouvé deux versets qui reprennent la comparaison avec la neige ; ce sont d’ailleurs les seules mentions de la neige dans le NT. La première se trouve chez Matthieu. Il y est dit de l’ange du Seigneur qui effraie les soldats gardant la tombe de Jésus : Son aspect était comme l’éclair et son vêtement blanc comme la neige (λευκον ως χιων). (Mt 28.3). Et dans l’Apocalypse, l’image est utilisée pour décrire l’aspect du Christ ressuscité : Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme laine blanche, comme neige (λευκον ως χιων). Ses yeux étaient comme un feu flamboyant. (Ap 1.14) On notera d’ailleurs que les auteurs du NT ne semblent pas citer explicitement la Septante.

On constate donc que la comparaison « (blanc) comme neige » se trouve dans l’ensemble du Canon : dans la Loi, chez les prophètes, dans les écrits, dans les Evangiles et jusque dans l’Apocalypse. Vu le climat habituel de la Palestine, le fait que l'on trouve cette expression dans la bouche des auteurs bibliques à travers les siècles, ne me semble pas couler de source.

vendredi 2 octobre 2009

Couleurs bibliques : blanc


Il n’y a pas longtemps, je me suis rendu compte que la Bible évoque assez peu les couleurs. Je me suis donc intéressé aux textes « colorés », à commencer par ceux qui mentionnent une couleur des plus lumineuses : le blanc (לָבָן ; λευκός).

Première surprise : parmi les rares versets qui évoquent cette couleur dans nos Bibles françaises (entre 60 et 70, selon les traductions), bon nombre ne comportent pas l’adjectif ‘blanc’ lorsqu’on considère les textes originaux, mais plutôt un terme technique : quand il est question de pain blanc (Gn 40.16), d’ânesses blanches (Jg 5.10), de marbre blanc (1 Ch 29.2 ; Ct 5.15), de blanc d’œuf (Jb 6.6), de peau blanche (Ct 5.10), de blancs rayons de lumière (Es 18.4) etc., il n’y a aucune trace de l’adjectif ‘blanc’ dans le texte hébreu. En ce qui concerne la laine blanche d’Ez 27.18, il s’agit d’une traduction très spéculative. Mais l’exemple le plus frappant, ce sont les cheveux blancs qui évoquent si souvent la vieillesse – en hébreu, il s’agit d’un terme technique (שֵׂיבָה) qui n’a rien à voir avec la couleur blanche, mais qui a trait au fait d’être grisonnant. (En revanche, dans le NT (Mt 5.36 ; Ap 1.14) l’adjectif ‘blanc’ est bel et bien utilisé pour les cheveux, mais a priori ce ne sont pas des textes faisant référence à la vieillesse.)

Parmi les textes où l’adjectif apparaît bel et bien dans les textes originaux, il y a un certain nombre qui évoquent cette couleur simplement parce qu’ils décrivent quelque chose de blanc ou de très lumineux. Ainsi, il est question de chèvres blanches (Gn 30.35), de branches ayant une partie blanche (Gn 30.37), de dents blanches (Gn 49.12), de la manne (Ex 16.31) et encore de champs blancs (Jn 4.35).

En ce qui concerne l’AT, le terme לָבָן est le plus souvent utilisé dans le contexte de la « lèpre » : dans le chapitre 13 du Lévitique, l’adjectif est utilisé en rapport avec les manifestations de cette catégorie de pathologies pas moins de 21 fois en 16 versets. Dans ce contexte, la couleur blanche semble donc avoir une connotation d’impureté.

Quelques rares fois, le verbe לבן (« rendre blanc » ou « devenir blanc ») est utilisé. Mise à part une utilisations banale (Jl 1.7), tous ces textes associent blancheur et pureté. Ainsi Ps 51.9 : Ote mon péché avec l’hysope, et je serai pur / lave-moi, et je serai plus blanc que la neige. On peut également citer un texte très connu d’Esaïe : Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de ma vue vos agissements mauvais, cessez de faire du mal. … Quand vos péchés seraient comme l’écarlate, ils deviendraient blancs comme la neige … (Es 1.16,18 ) Voir aussi Dn 11.35 et 1.10. Dans tous ces textes à caractère plutôt prophétique, la blancheur est donc associée à la pureté.

Toujours dans le domaine prophétique, nous croisons, à trois reprises, des chevaux blancs dans les visions de Zacharie (Za 1.8 ; 6.3,6), et de tels chevaux apparaissent également dans les visions de Jean (Ap 6.2 ;19.11,14), sans qu’une interprétation particulière s’impose.

Un autre thème, qui se développe surtout dans le NT, ce sont les vêtements blancs. Le thème pointe son nez chez Qohélet 9.8 : Qu’en tout temps tes vêtements soient blancs, et que l’huile ne manque pas sur ta tête. La couleur semble avoir ici une connotation de fête. Mais c’est surtout dans le NT qu’on parle beaucoup de vêtements blancs. Tantôt, il s’agit de textes qui pourraient être descriptifs, tantôt ce sont des textes à caractère très nettement symbolique. Dans la première catégorie, on trouve : l’apparence des vêtements du Christ lors de la transfiguration (Mt 17.2) ainsi que ceux de plusieurs anges (Mt 28.3 ; Mc 16.5 ; Jn 20.12 ; Ac 1.10). Ces êtres appartenant à la sphère céleste dégagent une lumière intense ; l’idée de pureté n’est peut-être pas absente, car tous ces personnages sont exempts de péché. Mais les vêtements blancs apparaissent aussi dans des contextes clairement symboliques. Aux fidèles de Sardes qui ne se sont pas rendu impurs, le Christ promet des vêtements blancs (Ap 3.4s), et aux membres de l’Eglise de Laodicée, il conseille de se procurer de tels vêtements, également dans un contexte lié à la pureté (Ap 3.18). Les vingt-quatre anciens devant le trône sont habillés de vêtements blancs (Ap 4.4), tout comme les martyrs (Ap 6.11) et la foule des rachetés (Ap 7.9,13). Il semble difficile d’échapper à la conclusion que cette blancheur est associée à la pureté.

Il n’est pas impossible que cette même association opère dans l’image du grand trône blanc (Ap 20.11) et de la nuée blanche sur laquelle se trouve le Fils de l’homme (Ap 14.14), à moins qu’il s’agisse de simples références à leur appartenance à la sphère céleste. Le caillou blanc donné au vainqueur (Ap 2.17), en revanche, semble véhiculer d’autres associations.

La couleur blanche a donc la particularité de changer radicalement de valeur symbolique. Dans la Loi, elle est associée à l’impureté cultuelle, par le biais de la lèpre. Dans des textes ultérieurs de l’AT, notamment à caractère prophétique, l’image de la couleur blanche change : la blancheur est associée à la pureté, et c’est cette association qui prévaut aussi dans les textes du NT.

dimanche 27 septembre 2009

Sages-femmes à contre-emploi


Dans mon billet précédent, j’ai survolé les données bibliques quant au métier de la sage-femme. Nous avons vu que les sages-femmes ne sont pas présentes dans la Bible, en dehors des deux premiers livres du Pentateuque.

Pour prolonger cette réflexion, j’ai consulté des écrits « autour de la Bible ». En ce qui concerne les livres intertestamentaires, je n’ai pas trouvé de références aux sages-femmes. En revanche, dans les livres apocryphes chrétiens (utilement rassemblés dans deux tomes de la Pléiade), les sages-femmes sont assez présentes. Pourquoi ?

Leur présence est liée à la grande place que ces auteurs accordent à certains aspects de la nativité sur lesquels les auteurs bibliques passent rapidement ou qu'ils ignorent totalement.

J’ai trouvé deux catégories de textes. Les premiers suggèrent que non seulement la conception mais aussi l’accouchement de Jésus étaient miraculeux. A ce titre, il s’est passé sans la moindre difficulté.

Le fait que Marie ait accouché sans l’aide d’une sage-femme est indirectement affirmé dans l’Ascension d’Isaïe. L’absence de sage-femme sert d’argument aux incrédules pour contester la naissance de Jésus :

Mais une rumeur se répandit à Bethléem au sujet de l’enfant. I1 y en avait qui disaient : « La vierge Marie a enfanté, alors qu’il n’y avait pas deux mois qu’elle était mariée » ; et beaucoup disaient : « Elle n’a pas enfanté, et il n’est pas monté de sage-femme, et nous n’avons pas entendu les cris des douleurs. » Et ils étaient tous aveugles au sujet de l’enfant, et tous, ils ne croyaient pas en lui, et ils ne savaient pas d’où il était. (Asc. Is. 11.12-14 ; traduction par Enrico Norelli)

Un texte curieux se trouve dans les Actes de l’apôtre Pierre et de Simon. L’apôtre Pierre y cite un certain nombre de prophéties au sujet du Christ, dont quelques-unes proviennent des textes canoniques. Ce n’est pas le cas de celle qui évoque une sage-femme :

un autre prophète dit l’honneur fait à sa mère : « Nous n’avons pas entendu ses cris et la sage-femme n’est pas intervenue. » (Ac Pierre 24.5 ; traduction de Gérard Poupon)

Le Protévangile de Jacques contient le passage le plus explicite à cet égard. Ce texte, le plus ancien des « Evangiles de l’enfance de Jésus » a connu une grande diffusion et a durablement marqué la piété de l’Eglise ancienne. Dans le Protévangile, on trouve le passage suivant :

Et [Joseph] trouva là une grotte, y introduisit [Marie], mit près d’elle ses fils et sortit chercher une sage-femme juive dans la région de Bethléem. […] Et je [NB : c’est Joseph qui parle] vis une femme qui descendait de la montagne, et elle me dit : « Homme, où vas-tu ? » Et je dis : « Je cherche une sage-femme juive. » Et en me répondant elle dit : « Es-tu d’Israël ? » Et je lui dis : « Oui. » Elle dit : « Et qui est celle qui va enfanter dans la grotte ? » Et je lui dis: « Celle qui m’est fiancée. » Et elle me dit: « Ce n’est pas ta femme ? » Et je lui dis : « C’est Marie, celle qui a été élevée dans le Temple du Seigneur. J’ai été désigné par le sort pour la recevoir comme femme ; elle n’est pourtant pas ma femme, mais elle a un fruit conçu de l’Esprit Saint. » Et la sage-femme dit : « Cela est-il vrai ? » Et Joseph dit : « Viens voir. »`

Et elle partit avec lui et ils se tinrent à l’endroit de la grotte. Et une nuée lumineuse couvrait la grotte. Et la sage-femme dit : « Mon âme a été exaltée aujourd’hui, parce que aujourd’hui mes yeux ont vu des choses extraordinaires : le salut est né pour Israël. » Et aussitôt la nuée se retira de la grotte et une grande lumière apparut dans la grotte, au point que les yeux ne pouvaient la supporter. Et, peu à peu, cette lumière se retirait jusqu’à ce qu’apparût un nouveau-né ; et il vint prendre le sein de sa mère Marie. Et la sage-femme poussa un cri et dit: « Qu’il est grand pour moi, le jour d’aujourd’hui : j’ai vu cette merveille inédite. » Et la sage-femme sortit de la grotte, et Salomé la rencontra. Et elle lui dit : « Salomé, Salomé, j’ai une merveille inédite à te raconter : une vierge a enfanté, ce que pourtant sa nature ne permet pas. » Et Salomé dit : « Aussi vrai que vit le Seigneur mon Dieu, si je n’y mets pas mon doigt et n’examine sa nature, je ne croirai nullement qu’une vierge ait enfanté. » Et la sage-femme entra et dit : « Marie, dispose-toi ; car ce n’est pas un petit débat qui se présente à ton sujet ». Et Marie, ayant entendu cela, se disposa. Et Salomé mit son doigt dans sa nature. Et Salomé poussa un cri et dit: « Malheur à mon iniquité et à mon incrédulité, parce que j’ai tenté le Dieu vivant. Et voici que ma main, dévorée par le feu, se retranche de moi. » Et Salomé fléchit les genoux devant le Maître, disant : « Dieu de mes pères, souviens-toi de moi : je suis de la descendance d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Ne me livre pas en exemple aux fils d’Israël, mais rends-moi aux pauvres. Car tu sais, Maître, que j’ai prodigué les soins en ton nom et que, mon salaire, je le recevais de toi. » Et voici qu’un ange du Seigneur se tint devant elle, lui disant : « Salomé, Salomé, le Maître de toutes choses a exaucé ta prière. Approche ta main de l’enfant et prends-le dans tes bras, et il sera pour toi salut et joie. » Et, pleine de joie, Salomé avança vers l’enfant et le prit dans ses bras, disant : « Je l’adorerai, car c’est lui qui est né roi pour Israël. » Et aussitôt Salomé fut guérie et elle sortit justifiée de la grotte. Et voici qu’une voix dit: « Salomé, Salomé, n’annonce pas les choses extraordinaires que tu as vues jusqu’à ce que l’enfant soit ailé à Jérusalem. » (Protév Jc 18.1-20.4 ; traduction d’Albert Frey)

Ici, Joseph fait appel à une sage-femme, mais assistance de celle-ci s’avère inutile. En effet, la naissance se fait sans intervention humaine. La sage-femme ne s’éclipse pas pour autant ; c’est elle qui entraîne Salomé, une sorte de Thomas au féminin, dans une entreprise périlleuse. Salomé vérifiera la virginité de Marie (post délivrance s’entend !), ce qui faillit lui coûter sa main. Mais finalement, sa prière, appuyée par ses bonnes œuvres, est exaucée, et sa main guérie. Cet événement est repris dans l’Evangile du Pseudo-Matthieu (13.2-5) qui précise le nom de la première femme, Zahel, et identifie Salomé comme étant elle-même une sage-femme.

D’ailleurs, nous retrouvons Salomé dans l’apocryphe Histoire de Joseph le charpentier ; elle y accompagne Joseph, Marie et Jésus dans leur exile égyptien. (8.3)

Le Protévangile de Jacques nous introduit à un deuxième aspect qui est associé aux sages-femmes dans les textes apocryphes : la vérification de la virginité de Marie. Il est vrai que dans le Protévangile, c’est Salomé qui effectue cette mission, alors qu’elle n’est pas formellement identifiée comme sage-femme.

Cette même mission est clairement confiée à des sages-femmes dans un dernier texte apocryphe, Sur le sacerdoce du Christ. Dans ce texte, Marie est interrogée par des prêtres sur la conception et l’enfantement de Jésus, notamment en vue de son inscription comme membre de la lignée de Lévi, qui nécessite la mention de son père. Elle dit être vierge tout en ayant enfanté, puis elle propose de produire en guise de témoignage naturel le sceau de [sa] virginité ». Puis le texte poursuit :

… [Marie] s’en tint fermement à ses précédentes affirmations et dit à nouveau : « Comme je l’ai dit, je ne connais pas d’homme. Faites donc ce qui vous semble bon. » Alors, après avoir longuement délibéré, ils firent venir des sages-femmes et firent procéder à un examen complet et à une recherche minutieuse ; ils découvrirent qu’elle était vraiment vierge. (Sac. Chr. 26 ; traduction de Flavio G. Nuvolone)

En résumé, si les textes apocryphes s’intéressent davantage aux sages-femmes, c’est parce qu’ils sont particulièrement fascinés (pour ne pas dire obsédés) par la mise au monde de Jésus et la virginité de Marie. En d’autres termes, les sages-femmes y apparaissent comme à contre-emploi : pour témoigner d’un accouchement qui se fait sans elles et pour mettre en évidence la virginité post-natale de Marie.

vendredi 25 septembre 2009

Métiers bibliques : sage-femme


La sage-femme fait partie des métiers qui apparaissent discrètement dans la Bible. A vrai dire, il n’en est question que dans les deux premiers livres de l’AT. Le mot traduit par sage-femme (מְיַלֶּדֶת) est un participe de la forme verbale signifiant aider à accoucher. La sage-femme est donc littéralement celle qui aide à accoucher.

La première sage-femme qui apparaît dans les textes reste anonyme. Elle aidera Rachel à donner naissance à Benjamin et l’encourage :

Pendant les douleurs de l’accouchement, la sage-femme lui dit : « N’aie pas peur, tu as encore un fils ! » (Gn 35.17)

Cette parole un peu énigmatique semble se fonder sur le fait qu’en lui donnant un deuxième fils, Dieu a exaucé la prière de Rachel (Gn 30.24). Celle-ci ne pourra cependant pas s’en réjouir, car elle meurt des suites de cet accouchement.

Un peu plus loin dans la Genèse, nous rencontrons une autre sage-femme lors de la naissance des jumeaux que Tamar a eus avec son beau-père Juda. On y lit : 

Pendant l’accouchement il y en eut un qui présenta la main; la sage-femme la saisit et y attacha un fil écarlate en disant : « Celui-ci est sorti le premier. » Mais il retira la main, et son frère sortit. Alors la sage-femme dit : « Quelle brèche tu t’es ouverte ! » Et il l’appela du nom de Pérets (« Brèche »). (Gn 38.28s)

Là encore, la sage-femme – anonyme – prononce une parole lourde de sens, et elle se trouve même à l’origine du prénom d’un des enfants.

Le troisième et dernier texte biblique évoquant les sages-femmes est en même temps le plus connu. Il nous raconte l’histoire de deux femmes courageuses, et cette fois-ci nous connaissons même leurs noms. 

Le roi d’Egypte parla aussi aux sages-femmes des Hébreux – l’une se nommait Shiphra et l’autre Poua. Il leur dit : « Quand vous accoucherez les femmes des Hébreux et que vous les verrez sur les sièges, si c’est un garçon, faites-le mourir ; si c’est une fille, qu’elle vive. » Mais les sages-femmes craignirent Dieu ; elles ne firent pas ce que leur avait dit le roi d’Egypte; elles laissèrent vivre les enfants. Le roi d’Egypte appela les sages-femmes et leur dit : « Pourquoi avez-vous agi ainsi ? Pourquoi avez-vous laissé vivre les enfants ? » Les sages-femmes répondirent au pharaon : « C’est que les femmes des Hébreux ne sont pas comme les Egyptiennes ; comme elles sont pleines de vie, elles accouchent avant l’arrivée de la sage-femme. » Dieu fit du bien aux sages-femmes; le peuple se multiplia et devint très fort. Parce que les sages-femmes avaient craint Dieu, il leur donna une famille. (Ex 1:15-21)

Comme le suggère Abraham Ibn Ezra, ces deux femmes admirables sont probablement les surveillantes des sages-femmes des Israélites, car on imagine mal que deux femmes auraient suffi pour s’occuper d’une population aussi importante.

D’ailleurs, le terme traduit ici par sièges (אֲבְנָיִם), littéralement « deux pierres », nous renseigne probablement sur des techniques d’accouchement en usage à l’époque. Il semblerait que les femmes accouchaient appuyées sur des paires de briques.

Curieusement, ce sont les dernières sages-femmes que nous croisons dans la Bible. Il y a toutefois des textes qui nous renseignent sur les tâches qu’elles accomplissaient, comme ce verset chez Ezéchiel : 

A ta naissance, au jour où tu naquis, ton cordon n'a pas été coupé, tu n'as pas été lavée avec de l'eau pour être purifiée, tu n'as pas été frottée avec du sel, tu n'as pas été enveloppée dans des langes. (Ez 16.4)

A cela, il faut peut-être encore ajouter la tâche d’annoncer la naissance (et le sexe de l’enfant) au père, qui semble exclu de l’accouchement (cf. Jr 20.15). Mais en dehors de ces quelques allusions, les sages-femmes restent dans l’ombre. On notera aussi que le Nouveau Testament est totalement silencieux à l’égard de cette profession méritante.

Nous verrons une autre fois que ce silence sera plus que comblé par d’autres auteurs ...

lundi 21 septembre 2009

De toutes les couleurs ...


En travaillant sur les quatre chevaliers de l’Apocalypse (Ap 6.1-8), je me suis rendu compte qu’il y a là une belle occasion de sonder comment une prophétie peut en nourrir une autre.

1 Je regardai quand l’agneau ouvrit l’un des sept sceaux, et j’entendis l’un des quatre êtres vivants dire [avec] comme une voix de tonnerre : « Viens ! » 2 Je regardai et voici : un cheval blanc (λευκός). Celui qui était assis sur lui avait un arc. Une couronne lui fut donnée, et il sortit en vainqueur et pour vaincre.

3 Quand il ouvrit le deuxième sceau, j’entendis le deuxième être vivant dire : « Viens ! » 4 Un autre cheval, rouge comme le feu (πυρρός), sortit. A celui qui était assis sur lui, il lui fut donné d’ôter la paix de la terre, afin qu’ils s’égorgent mutuellement ; et un grand couteau lui fut donné. 

5 Quand il ouvrit le troisième sceau, j’entendis le troisième être vivant dire : « Viens ! » Je regardai, et voici : un cheval noir (μέλας). Celui qui était assis sur lui avait une balance dans sa main. 6 J’entendis comme une voix au milieu des quatre êtres vivants dire : « Une ration de blé pour un denier, et trois rations d’orge pour un denier, mais ne cause pas de dommage à l’huile et au vin ! »

7 Quand il ouvrit le quatrième sceau, j’entendis la voix du quatrième être vivant dire : « Viens ! » 8 Je regardai, et voici : un cheval verdâtre (χλωρός). Celui qui était assis sur lui, son nom [est] la Mort. Le séjour des morts le suivait. Il leur fit donné le pouvoir sur le quart de la terre, [pour] tuer par l’épée, par la famine, par la mort et par les bêtes sauvages de la terre.

Comme cela a été souvent relevé, Jean semble s’inspirer de deux textes de Zacharie que voici : 

Je regardai pendant la nuit, et voici, un homme était monté sur un cheval roux, et se tenait parmi des myrtes dans un lieu ombragé; il y avait derrière lui des chevaux rouges (אֲדֻמִּים ; LXX : πυρροί), roux (שְׂרֻקִּים ; LXX : ψαροι και ποικίλοι, litt. « gris pommelé et tacheté »), et blancs (לְבָנִים ; LXX : λευκοί). Je dis: Qui sont ces chevaux, mon seigneur ? Et l’ange qui parlait avec moi me dit: Je te ferai voir qui sont ces chevaux. L’homme qui se tenait parmi les myrtes prit la parole et dit: Ce sont ceux que l’Éternel a envoyés pour parcourir la terre. Et ils s’adressèrent à l’ange de l’Éternel, qui se tenait parmi les myrtes, et ils dirent: Nous avons parcouru la terre, et voici, toute la terre est en repos et tranquille. (Za 1.8-11)

Zacharie voit un chevalier sur un cheval roux, puis des chevaux au nombre indéterminé. A priori ces chevaux ne sont pas montés. Leurs couleurs ne sont pas les mêmes que celles des chevaliers de Jean, mais on trouve le rouge feu et le blanc. La fonction de ces chevaux est celle d’émissaires de Dieu : ils lui rendent compte de l’état de la terre.

Un deuxième texte de Zacharie est encore plus proche de notre passage de l’Apocalypse : 

Je levai de nouveau les yeux et je regardai, et voici, quatre chars sortaient d’entre deux montagnes; et les montagnes étaient des montagnes d’airain. Au premier char il y avait des chevaux rouges (אֲדֻמִּים ; LXX : πυρροί), au second char des chevaux noirs (שְׁחרִים ; LXX : μέλανες), au troisième char des chevaux blancs (לְבָנִים ; LXX : λευκοί), et au quatrième char des chevaux tachetés, roux (אֲמֻצִּים בְּרֻדִּים , litt. « tachetés couleur pie (ou roux) » ; LXX : ποικίλοι ψαροί, litt. « tachetés gris pommelé »). Je pris la parole et je dis à l’ange qui parlait avec moi: Qu’est-ce, mon seigneur? L’ange me répondit: Ce sont les quatre vents des cieux, qui sortent du lieu où ils se tenaient devant le Seigneur de toute la terre. Les chevaux noirs (שְׁחרִים ; LXX : μέλανες) attelés à l’un des chars se dirigent vers le pays du septentrion, et les blancs (לְבָנִים ; LXX : λευκοί) vont après eux; les tachetés (בְּרֻדִּים ; LXX : ποικίλοι) se dirigent vers le pays du midi. Les roux (אֲמֻצִּים ; LXX : ψαροί) sortent et demandent à aller parcourir la terre. L’ange leur dit: Allez, parcourez la terre! Et ils parcoururent la terre. Il m’appela, et il me dit: Vois, ceux qui se dirigent vers le pays du septentrion font reposer ma colère sur le pays du septentrion. (Za 6.1-8)

On constate d’ailleurs que la couleur n’est pas une constante dans ce passage, car le quatuor rouge/noir/blanc/tacheté-roux de la première partie du texte devient noir/blanc/tacheté/roux dans la deuxième partie.

Si Jean s’est inspiré des chevaux de Zacharie (et c’est l’impression que l’on a) sans toutefois les reprendre intégralement, cela éclaire de manière intéressante le travail derrière la rédaction d’un livre de prophétie.

Mon hypothèse de travail serait la suivante. Jean a vu des choses appartenant au domaine céleste et, par conséquent, difficiles à rapporter. Dans le travail de « traduction », il s’appuie sur le travail de ses prédécesseurs. Les visions de ceux-ci forment un réservoir d’éléments disponibles. Jean puise dans ce réservoir mais ressent la nécessité d’apporter de petites corrections pour mieux rendre ce qu’il a vu. Ainsi, des chars de Zacharie, il n’en reste que les chevaux. Le cheval de la mort, au lieu d’être tacheté, devient verdâtre, peut-être pour mieux évoquer la décomposition des corps. En gardant toutefois une chevauchée proche de Za 6, Jean permet au lecteur attentif de comprendre que l’envoi des quatre chevaliers exprime, comme celui des chars de Zacharie, un jugement de Dieu.

samedi 12 septembre 2009

Quiz biblique pour (fins) connaisseurs

Voici une question pour un champion : Dans quel texte biblique le Messie est-il armé d’un arc ?

Certains penseront à Ap 6.2 (qui a inspiré le tableau ci-dessus), mais, comme Beale et d’autres l’ont démontré, c’est peu vraisemblable que ce chevalier blanc (à la différence de celui de Ap 19.11ss) soit le Christ.

Un meilleur candidat est le Psaume 45. On y lit :

2 Mon cœur frémit d’un message de bonheur.
Je dis : Mes œuvres sont pour un roi !
Que ma langue soit comme le stylet d’un scribe habile !
3 Tu es le plus beau des êtres humains,
la grâce est répandue sur tes lèvres :
c’est pourquoi Dieu t’a béni pour toujours.
4 Mets ton épée à la ceinture, vaillant guerrier,
ton éclat et ta magnificence,
5 oui, ta magnificence ! Elance-toi, monte sur ton char,
pour la cause de la loyauté, de l’humilité et de la justice !
Que ta main droite t’entraîne dans des actions redoutables !
6 Tes flèches sont aiguës :
des peuples tomberont sous toi ;
elles pénétreront dans le coeur des ennemis du roi.
7 Ton trône, ô Dieu, est pour toujours, à jamais;
le sceptre de ton règne est un sceptre de droiture.

Mais, pourrait-on objecter, peut-être le psaume vise-t-il simplement un roi d’Israël ou de Juda ?

Or c’est l’épître aux Hébreux, et plus précisément Hb 1.8, qui apporte la preuve de ce que le Messie est visé :

7 Pour les anges, [Dieu] dit :
Il fait de ses anges des esprits,
de ses serviteurs un feu flamboyant.
8 Mais pour le Fils :
Ton trône, ô Dieu, est établi pour toujours,
le sceptre de ton règne est un sceptre d’équité.

La comparaison de Hb 1.8 et Ps 45.7 ne laisse guère d'autre choix : le psaume nous parle du Christ.