dimanche 27 septembre 2009

Sages-femmes à contre-emploi


Dans mon billet précédent, j’ai survolé les données bibliques quant au métier de la sage-femme. Nous avons vu que les sages-femmes ne sont pas présentes dans la Bible, en dehors des deux premiers livres du Pentateuque.

Pour prolonger cette réflexion, j’ai consulté des écrits « autour de la Bible ». En ce qui concerne les livres intertestamentaires, je n’ai pas trouvé de références aux sages-femmes. En revanche, dans les livres apocryphes chrétiens (utilement rassemblés dans deux tomes de la Pléiade), les sages-femmes sont assez présentes. Pourquoi ?

Leur présence est liée à la grande place que ces auteurs accordent à certains aspects de la nativité sur lesquels les auteurs bibliques passent rapidement ou qu'ils ignorent totalement.

J’ai trouvé deux catégories de textes. Les premiers suggèrent que non seulement la conception mais aussi l’accouchement de Jésus étaient miraculeux. A ce titre, il s’est passé sans la moindre difficulté.

Le fait que Marie ait accouché sans l’aide d’une sage-femme est indirectement affirmé dans l’Ascension d’Isaïe. L’absence de sage-femme sert d’argument aux incrédules pour contester la naissance de Jésus :

Mais une rumeur se répandit à Bethléem au sujet de l’enfant. I1 y en avait qui disaient : « La vierge Marie a enfanté, alors qu’il n’y avait pas deux mois qu’elle était mariée » ; et beaucoup disaient : « Elle n’a pas enfanté, et il n’est pas monté de sage-femme, et nous n’avons pas entendu les cris des douleurs. » Et ils étaient tous aveugles au sujet de l’enfant, et tous, ils ne croyaient pas en lui, et ils ne savaient pas d’où il était. (Asc. Is. 11.12-14 ; traduction par Enrico Norelli)

Un texte curieux se trouve dans les Actes de l’apôtre Pierre et de Simon. L’apôtre Pierre y cite un certain nombre de prophéties au sujet du Christ, dont quelques-unes proviennent des textes canoniques. Ce n’est pas le cas de celle qui évoque une sage-femme :

un autre prophète dit l’honneur fait à sa mère : « Nous n’avons pas entendu ses cris et la sage-femme n’est pas intervenue. » (Ac Pierre 24.5 ; traduction de Gérard Poupon)

Le Protévangile de Jacques contient le passage le plus explicite à cet égard. Ce texte, le plus ancien des « Evangiles de l’enfance de Jésus » a connu une grande diffusion et a durablement marqué la piété de l’Eglise ancienne. Dans le Protévangile, on trouve le passage suivant :

Et [Joseph] trouva là une grotte, y introduisit [Marie], mit près d’elle ses fils et sortit chercher une sage-femme juive dans la région de Bethléem. […] Et je [NB : c’est Joseph qui parle] vis une femme qui descendait de la montagne, et elle me dit : « Homme, où vas-tu ? » Et je dis : « Je cherche une sage-femme juive. » Et en me répondant elle dit : « Es-tu d’Israël ? » Et je lui dis : « Oui. » Elle dit : « Et qui est celle qui va enfanter dans la grotte ? » Et je lui dis: « Celle qui m’est fiancée. » Et elle me dit: « Ce n’est pas ta femme ? » Et je lui dis : « C’est Marie, celle qui a été élevée dans le Temple du Seigneur. J’ai été désigné par le sort pour la recevoir comme femme ; elle n’est pourtant pas ma femme, mais elle a un fruit conçu de l’Esprit Saint. » Et la sage-femme dit : « Cela est-il vrai ? » Et Joseph dit : « Viens voir. »`

Et elle partit avec lui et ils se tinrent à l’endroit de la grotte. Et une nuée lumineuse couvrait la grotte. Et la sage-femme dit : « Mon âme a été exaltée aujourd’hui, parce que aujourd’hui mes yeux ont vu des choses extraordinaires : le salut est né pour Israël. » Et aussitôt la nuée se retira de la grotte et une grande lumière apparut dans la grotte, au point que les yeux ne pouvaient la supporter. Et, peu à peu, cette lumière se retirait jusqu’à ce qu’apparût un nouveau-né ; et il vint prendre le sein de sa mère Marie. Et la sage-femme poussa un cri et dit: « Qu’il est grand pour moi, le jour d’aujourd’hui : j’ai vu cette merveille inédite. » Et la sage-femme sortit de la grotte, et Salomé la rencontra. Et elle lui dit : « Salomé, Salomé, j’ai une merveille inédite à te raconter : une vierge a enfanté, ce que pourtant sa nature ne permet pas. » Et Salomé dit : « Aussi vrai que vit le Seigneur mon Dieu, si je n’y mets pas mon doigt et n’examine sa nature, je ne croirai nullement qu’une vierge ait enfanté. » Et la sage-femme entra et dit : « Marie, dispose-toi ; car ce n’est pas un petit débat qui se présente à ton sujet ». Et Marie, ayant entendu cela, se disposa. Et Salomé mit son doigt dans sa nature. Et Salomé poussa un cri et dit: « Malheur à mon iniquité et à mon incrédulité, parce que j’ai tenté le Dieu vivant. Et voici que ma main, dévorée par le feu, se retranche de moi. » Et Salomé fléchit les genoux devant le Maître, disant : « Dieu de mes pères, souviens-toi de moi : je suis de la descendance d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Ne me livre pas en exemple aux fils d’Israël, mais rends-moi aux pauvres. Car tu sais, Maître, que j’ai prodigué les soins en ton nom et que, mon salaire, je le recevais de toi. » Et voici qu’un ange du Seigneur se tint devant elle, lui disant : « Salomé, Salomé, le Maître de toutes choses a exaucé ta prière. Approche ta main de l’enfant et prends-le dans tes bras, et il sera pour toi salut et joie. » Et, pleine de joie, Salomé avança vers l’enfant et le prit dans ses bras, disant : « Je l’adorerai, car c’est lui qui est né roi pour Israël. » Et aussitôt Salomé fut guérie et elle sortit justifiée de la grotte. Et voici qu’une voix dit: « Salomé, Salomé, n’annonce pas les choses extraordinaires que tu as vues jusqu’à ce que l’enfant soit ailé à Jérusalem. » (Protév Jc 18.1-20.4 ; traduction d’Albert Frey)

Ici, Joseph fait appel à une sage-femme, mais assistance de celle-ci s’avère inutile. En effet, la naissance se fait sans intervention humaine. La sage-femme ne s’éclipse pas pour autant ; c’est elle qui entraîne Salomé, une sorte de Thomas au féminin, dans une entreprise périlleuse. Salomé vérifiera la virginité de Marie (post délivrance s’entend !), ce qui faillit lui coûter sa main. Mais finalement, sa prière, appuyée par ses bonnes œuvres, est exaucée, et sa main guérie. Cet événement est repris dans l’Evangile du Pseudo-Matthieu (13.2-5) qui précise le nom de la première femme, Zahel, et identifie Salomé comme étant elle-même une sage-femme.

D’ailleurs, nous retrouvons Salomé dans l’apocryphe Histoire de Joseph le charpentier ; elle y accompagne Joseph, Marie et Jésus dans leur exile égyptien. (8.3)

Le Protévangile de Jacques nous introduit à un deuxième aspect qui est associé aux sages-femmes dans les textes apocryphes : la vérification de la virginité de Marie. Il est vrai que dans le Protévangile, c’est Salomé qui effectue cette mission, alors qu’elle n’est pas formellement identifiée comme sage-femme.

Cette même mission est clairement confiée à des sages-femmes dans un dernier texte apocryphe, Sur le sacerdoce du Christ. Dans ce texte, Marie est interrogée par des prêtres sur la conception et l’enfantement de Jésus, notamment en vue de son inscription comme membre de la lignée de Lévi, qui nécessite la mention de son père. Elle dit être vierge tout en ayant enfanté, puis elle propose de produire en guise de témoignage naturel le sceau de [sa] virginité ». Puis le texte poursuit :

… [Marie] s’en tint fermement à ses précédentes affirmations et dit à nouveau : « Comme je l’ai dit, je ne connais pas d’homme. Faites donc ce qui vous semble bon. » Alors, après avoir longuement délibéré, ils firent venir des sages-femmes et firent procéder à un examen complet et à une recherche minutieuse ; ils découvrirent qu’elle était vraiment vierge. (Sac. Chr. 26 ; traduction de Flavio G. Nuvolone)

En résumé, si les textes apocryphes s’intéressent davantage aux sages-femmes, c’est parce qu’ils sont particulièrement fascinés (pour ne pas dire obsédés) par la mise au monde de Jésus et la virginité de Marie. En d’autres termes, les sages-femmes y apparaissent comme à contre-emploi : pour témoigner d’un accouchement qui se fait sans elles et pour mettre en évidence la virginité post-natale de Marie.

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