jeudi 10 septembre 2009

Répliques d'un séisme (I)

Pour prolonger un peu notre réflexion sur le « sacrifice d’Abraham » (le terme technique hébreu est עֲקִידָת־יִצְחָק, le « ligotage d’Isaac »), j’ai cherché des textes dans la littérature inter-testamentaire qui relatent cet événement. J’en ai trouvé deux, dont voici le premier. Il se trouve dans le livre des Jubilés, un texte que Charles date entre 135 et 105 avant Jésus-Christ.

Dans la septième semaine de ce jubilé, la première année, le premier mois, le douzième jour du mois, il y eut dans les cieux des rumeurs au sujet d’Abraham ; [on disait] qu’il était fidèle en tout ce que lui disait le Seigneur, qu’il L’aimait et qu’en toute adversité il était constant. Le prince Mastéma vint déclarer devant Dieu : « Eh bien ! Abraham aime Isaac son fils et le chérit plus que tout. Dis-lui qu’il Te l’offre en holocauste sur l’autel, Tu verras s’il exécute cet ordre et Tu verras s’il est fidèle en toute épreuve que Tu lui présentes. » Le Seigneur savait qu’Abraham avait été fidèle en toutes ses adversités, car Il l’avait mis à l’épreuve au moyen des trésors des rois. Il l’avait encore mis à l’épreuve par l’intermédiaire de sa femme quand elle lui fut enlevée, et par la circoncision. Il l’avait mis à l’épreuve par l’intermédiaire d’Ismaël et de Hagar sa servante, lorsqu’il les renvoya. En toutes ces épreuves, [Abraham] avait été trouvé fidèle. Son esprit n’était ni rebuté ni hésitant à agir : il était fidèle et aimant le Seigneur.

Le Seigneur lui dit : « Abraham, Abraham ! » Il répondit : « Me voici. » [Le Seigneur] lui dit : « Prends ton fils bien-aimé, celui que tu aimes, Isaac. Va dans une haute terre et offre-le sur une des montagnes que Je t’indiquerai. » [Abraham] se leva de bon matin, harnacha son âne, prit avec lui ses deux valets et Isaac son fils et il coupa du bois pour le sacrifice. Il arriva à l’endroit le troisième jour, et il vit l’endroit de loin. Il arriva au bord d’une source et dit à ses serviteurs : « Restez ici avec l’ânesse. L’enfant et moi, nous irons et nous reviendrons auprès de vous après avoir adoré [le Seigneur]. Il prit le bois du sacrifice, en chargea Isaac son fils, il prit dans sa main le feu et le couteau et tous deux ensemble allèrent à cet endroit. Isaac dit à son père : « Père ! », et celui-ci répondit : « Me voici, mon fils. » [Isaac] dit : « Voici le feu, le couteau et le bois, mais où est le mouton pour l’holocauste, père ? » [Abraham] lui répondit : « Le Seigneur pourvoira d’un mouton pour l’holocauste, mon fils. » Il s’avança vers l’endroit [indiqué] de la montagne du Seigneur, construisit un autel, mit le bois sur l’autel, lia Isaac son fils et le plaça au-dessus du bois qui était sur l’autel. Il tendit la main pour prendre le couteau et immoler Isaac son fils. Mais je me dressai devant lui et devant le prince Mastéma, et le Seigneur [me] dit : « Qu’il n’abaisse pas sa main sur l’enfant et ne fasse rien contre lui, car Je sais qu’il craint le Seigneur. » Je l’appelai du ciel et je lui dis : « Abraham, Abraham ! » Il fut troublé et dit : « Me voici. » Je lui dis : « Ne porte pas la main sur l’enfant et ne lui fais rien, car maintenant Je sais que tu crains le Seigneur et tu ne M’as pas refusé ton fils premier-né », et le prince Mastéma fut confondu. […]

(Jubilés XVII.15-XVIII.8 ; traduction d’André Caquot)

Ce qui me semble particulièrement intéressant dans cette reprise, c’est l’introduction d’un « prologue dans le ciel » comme on le connaît du livre de Job. Le prince Mastéma, nom qui signifie « hostilité », n’est personne d’autre que le Satan. Fidèle à son rôle d’accusateur, il suggère à Dieu de demander au patriarche de sacrifier son fils. La suite de l’histoire est assez fidèle au récit biblique dans ses grandes lignes.

L’insertion du « prologue dans le ciel » semble répondre au désir d’éviter la conclusion que Dieu puisse être à l’origine d’un mal. Le récit biblique quant à lui fait remonter l’initiative de l’épreuve à Dieu seul. On peut reprocher à l’auteur des Jubilés d’ajouter au texte biblique, mais il faut reconnaître qu’il met en évidence une véritable tension dans les textes bibliques. Jésus ne nous invite-t-il pas à prier : Ne nous fais pas entrer dans l’épreuve (Mt 6.13), ce qui semble suggérer que le Père puisse nous mettre à l’épreuve (autrement, la prière semble sans objet), alors que Jacques affirme : Que personne, lorsqu'il est mis à l'épreuve, ne dise : « C’est Dieu qui me met à l’épreuve. » Car Dieu ne peut être mis à l’épreuve par le mal, et lui-même ne met personne à l’épreuve. (Jc 1.13) Il y a de quoi creuser, mais ce sera pour une autre fois.

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