vendredi 11 septembre 2009

Répliques d'un séisme (II)

Dans mon billet précédent, j’ai évoqué le récit que le livre des Jubilés donne du « sacrifice d’Abraham » (עֲקִידָת־יִצְחָק). J’ai trouvé encore un deuxième texte, dans le Livre des Antiquités bibliques dont on pense qu’il a été rédigé en hébreu ou araméen vers le milieu du 1er siècle. Le passage en question rapporte le cantique de Débora, mais dans une version très différente de celle que nous donne le livre des Juges (Jg 5). La voici :

Alors Débora et Barach, fils d’Abino, et tout le peuple, chantèrent d’une seule âme un hymne au Seigneur en ce jour-là, en disant : « Voici que d’en haut le Seigneur nous a montré sa gloire, comme il l’a fait dans les lieux élevés, lorsqu’il fit entendre sa voix pour confondre les langages des hommes. Il a choisi notre nation, il a tiré du feu Abraham, notre père, et l’a choisi parmi tous ses frères ; il l’a gardé du feu et l’a libéré des briques de la tour en construction. Il lui a donné un fils au dernier jour de sa vieillesse et l’a fait sortir d’un sein stérile. Tous les anges ont été jaloux de lui et les gardiens des lieux célestes l’ont envié. Et il advint, tandis qu’ils étaient jaloux de lui, que Dieu lui dit : « Tue le fruit de ton sein pour moi et offre-moi en sacrifice ce qui t’a été donné par moi. » Et Abraham ne refusa pas, mais il partit aussitôt. En partant, il dit à son fils : « Voici que maintenant, mon fils, je vais t’offrir en holocauste et te livrer aux mains de celui qui t’a donné à moi. » Mais le fils dit à son père : « Ecoute-moi, père ! Si un agneau est choisi parmi les brebis pour les offrandes au Seigneur en odeur agréable et si des brebis sont désignées pour l’immolation pour les péchés des hommes, l’homme, au contraire, a été placé pour héritier du monde. Comment peux-tu me dire maintenant : ‘Viens et reçois en héritage la vie tranquille et le temps sans mesure.’ Que serait-il advenu, si je n’étais pas né dans le monde pour être offert en sacrifice à celui qui m’a fait ? Mais mon bonheur sera plus grand que celui de tous les hommes, puisque plus rien n’arrivera de tel. Par moi, les générations seront instruites, en moi les peuples comprendront que le Seigneur a rendu l’âme de l’homme digne d’être sacrifiée. » Lorsque le père eut offert son fils sur l’autel et qu’il lui eut lié les pieds pour le tuer, le Tout-Puissant se hâta d’envoyer d’en haut sa voix en disant : « Ne tue pas ton fils, ne détruis pas le fruit de ton sein. Car maintenant, je me suis manifesté pour que tu sois connu de ceux qui t’ignorent et j’ai fermé la bouche de ceux qui disent toujours du mal contre toi. Et ton souvenir sera en ma présence pour toujours, et ton nom et le nom de celui-ci demeureront pour les générations des générations. » …
(XXXII.1-4 ; traduction de Jean Hadot)

Derrière la jalousie des anges et l’affirmation j’ai fermé la bouche de ceux qui disent toujours du mal contre toi, on devine un résidu de traditions selon lesquelles des forces sataniques (comme le prince Mastéma que nous avons rencontré dans le livre des Jubilés) se trouvent à l’origine de l’épreuve du patriarche. Mais ici l’auteur ne franchit pas le pas d’inventer un « prologue dans le ciel » ; il attribue l’initiative de l’épreuve à Dieu seul. Sur ce point, l’auteur reste fidèle au texte biblique.

En revanche, on sent un éloignement grandissant par rapport au texte biblique en ce qui concerne la personne d’Isaac. Le fils du patriarche, mis au courant de sa prochaine immolation, non seulement l’accepte, mais se lance dans de grandes déclarations enthousiastes. Et ça sonne faux. Par moi, les générations seront instruites, en moi les peuples comprendront que le Seigneur a rendu l’âme de l’homme digne d’être sacrifiée, dit le jeune homme. Là où Jésus a prié Mon Père, si c'est possible, que cette coupe s'éloigne de moi ! (Mt 26.39), l’Isaac des Antiquités fonce avec fierté. On est là à mille lieues de l’attitude biblique face au sacrifice, et plus proche de la mentalité des martyrs d’Al Aqsa.

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