mercredi 15 avril 2009

Aneries bibliques, selon Matthieu

Je me suis récemment penché sur les récits de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, à dos d’âne, quelques jours avant sa mort. Tous les quatre Evangélistes racontent cet événement (Mt 21.1ss ; Mc 11.1ss ; Lc 19.29ss ; Jn 12.12ss). Deux d’entre eux, Matthieu et Jean, la relient à une prophétie du prophète Zacharie (Za 9.9), qui dit, dans la traduction grecque de la Septante (que semblent citer les Evangélistes) :

Réjouis-toi vivement, fille Sion !
Proclame [ta joie], fille Jérusalem !
Voici, ton roi vient à toi,
Il est juste et sauveur,
Doux et monté sur une bête de somme,
[Sur] Un poulain jeune.

Matthieu 21.4-5 la cite comme suit :

Tout cela se passa [ainsi] pour que soit accompli ce qui avait été dit par le prophète :
Dites à la fille Sion :
« Voici, ton roi vient à toi
Doux et monté sur un âne
Sur un poulain, le petit de la bête de somme. »

A regarder de près, Mt 21.5 n’est pas une citation mot pour mot. Curieusement, Matthieu a supprimé l’incitation à la joie de Zacharie, alors qu’elle se serait très bien insérée dans le récit évangélique. On estime généralement que Matthieu a en effet fusionné la prophétie de Zacharie avec un passage d’Esaïe, Es 62.11, qui dit, toujours dans la version de la Septante :

… Dites à la fille Sion : Voici, le sauveur vient à toi …

Le texte de Matthieu se présente donc comme un patchwork de deux textes (en gras, j’ai mis le texte conservé de Zacharie, en gris, les omissions par rapport à Zacharie et Esaïe, en vert, le texte qui vient d’Esaïe) :

Réjouis-toi vivement, Dites à la fille Sion :
Proclame [ta joie], fille Jérusalem !
« Voici, le sauveur ton roi vient à toi,
Il est juste et sauveur,
Doux et monté sur une bête de somme un âne,
[Sur] Un poulain jeune, le petit de la bête de somme.

Probablement, il ne faut pas attacher beaucoup d’importance à la variation des termes âne, ânon, bête de somme etc. Mais il y a d’autres choix éditoriaux intéressants. L’insertion de Es 62.11 dans la prophétie de Zacharie fait que la fille Sion (c'est-à-dire la ville de Jérusalem) n’est plus l’interlocutrice directe du prophète. Zacharie, tel que cité par Matthieu, s’adresse à des tiers qui doivent porter le message à Sion. Du coup, me semble-t-il, Sion n’est plus au centre de l’attention et celle-ci se porte davantage sur le message à transmettre, et donc sur le roi qui doit venir. Autrement dit, Matthieu met en valeur le message en se passant des exhortations à l’allégresse.

C’est également intéressant de voir que l’allusion à la justice et le sauvetage que contient la prophétie de Zacharie est éliminée par Matthieu. L’Evangéliste insiste donc surtout sur la douceur et l’humilité du roi, et cela harmonise très bien avec l’intention probable de Jésus dans le choix de l’ânon comme monture. En effet, comme cela transparaît dans la version de Jean, la foule est excitée dès que Jésus approche de Jérusalem, et le choix de l'âne répond à cette excitation. Il est donc possible de voir dans le geste de Jésus, outre la réalisation de la prophétie, la volonté d’étouffer dans l’oeuf certains malentendus messianiques (le justicier, le sauveur militaire). Certes, Jésus est le roi qui vient, mais il ne vient pas en guerrier victorieux, sur un cheval de combat (Za 9.10 !), mais en roi de paix.

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