mardi 11 août 2009

Baruch

Le prophète Jérémie est un personnage tellement attachant qu’il attire toute l’attention des lecteurs de son livre. Il y a cependant d’autres personnages intéressants qui apparaissent en filigrane. Je pense notamment à Baruch, fils de Nériya.

Baruch est un homme de bonne famille, car son frère Seraya est grand intendant du roi Sédécias (Jr 51.59).

Jérémie fait appel à Baruch pour qu’il écrive un rouleau de prophéties sous la dictée du prophète (Jr 36.4). Jérémie le charge ensuite d’aller au Temple et d’y réciter le contenu du rouleau (Jr 36.5). Baruch s’exécute (Jr 36.8ss). L’affaire parvient aux oreilles des conseillers du roi Joïaqim qui font venir Baruch et organisent une lecture privée (Jr 36.14ss). Les conseillers décident d’en faire part au roi, tout en demandant à Baruch qu’il se cache et que Jérémie fasse de même (Jr 36.19). Et c’est un bon conseil, car effectivement, suite à la lecture du rouleau, Joïaqim demande l’arrestation de Baruch et de Jérémie (Jr 36.19). Le roi ayant détruit le premier rouleau, Baruch écrira un nouveau rouleau sous la dictée de Jérémie (Jr 36.32)

Le scribe semble alors avoir connu un moment de découragement. Jérémie lui transmet une parole de Dieu qui nous est conservée :

Ainsi parle YHWH, le Dieu d'Israël, sur toi, Baruch : Tu dis : « Quel malheur pour moi ! YHWH ajoute le tourment à ma douleur; je me fatigue à force de gémir, et je ne trouve pas le repos ! » C'est ainsi que tu lui parleras : Ainsi parle YHWH : Je rase ce que j'ai bâti, je déracine ce que j'ai planté – tout ce pays. Et toi, tu rechercherais de grandes choses ? Ne les recherche pas ! Car je fais venir le malheur sur tous, – déclaration de YHWH – mais je te donnerai ta vie pour butin, dans tous les lieux où tu iras. (Jr 45.2-5)

Baruch apparaît encore à une époque plus tardive où Sédécias règne sur Juda. Lorsque Jérémie doit acheter le champ de son cousin Hanaméel, il remet le contrat à Baruch, qui se trouve dans la cour de la garde (Jr 32.12) et lui donne l’ordre de conserver le contrat (Jr 32.14). Malgré ses mésaventures sous Joïaqim, Baruch semble donc faire partie de l’administration royale sous Sédécias.

Après la prise de la ville de Jérusalem, Baruch et Jérémie sont emmenés de force en Egypte par Yohanân, fils de Qaréah et ses hommes. (Jr 43.3ss). C’est là que nous perdons leur trace.

Dans ses Antiquités juives, l’historien Josèphe dit de Baruch qu’il était un homme d’une famille très éminente et qu’il avait une maîtrise excellente de sa langue (10.1.9). Selon toute vraisemblance, il ne s’agit là que d’interpolations par rapport aux renseignements que l’Ecriture fournit sur Baruch.

Baruch a connu une carrière importante post mortem, comme en témoigne la littérature intertestamentaire. Sans doute sa collaboration intime avec Jérémie le faisait apparaître comme un détenteur de révélations particulières.

Les catholiques sont un peu plus familiers de Baruch que les protestants, car leur Bible contient le livre de Baruch (I Baruch) un pseudépigraphe datant probablement du deuxième siècle avant Jésus-Christ. Ce livre apporte assez peu d’éléments nouveaux par rapport aux textes canoniques, si ce n’est qu’il décrit un séjour de Baruch à Babylone (1.4), ce qui est peu vraisemblable, compte tenu du fait que Baruch a été emmené de force en Egypte. Baruch aurait été envoyé par les responsables de la communauté juive à Babylone pour ramener des objets de culte et organiser un minimum de culte (1.8), ce qui semble en contradiction avec les renseignements fournis par le livre d’Esdras (Esd 1.7-11). Baruch apparaît donc comme un Esdras avant l’heure. Quoi qu’il en soit, le séjour babylonien de Baruch et son lien avec les ustensiles du Temple ont massivement inspiré les auteurs ultérieurs.

L’Apocalypse grecque de Baruch (III Baruch), que Charles date au deuxième siècle après Jésus-Christ, est un bel exemple du genre littéraire apocalyptique. Ce bref récit raconte comment l’ange Phamaël conduit Baruch à travers cinq cieux et lui révèle un certain nombre de secrets. Nous apprenons quasiment rien de nouveau sur Baruch, si ce n’est qu’il prend du galon : il fait partie des rares élus ayant eu droit à un tour guidé des cieux.

L’Apocalypse syriaque de Baruch (II Baruch), que Charles pense écrit au premier siècle de notre ère, est un récit beaucoup plus élaboré. Baruch y apparaît comme un personnage important. Dieu lui parle directement (I.1) et lui transmet des ordres pour Jérémie (II.1). C’est lui qui doit ordonner à Jérémie de partir à Babylone (X.1ss). Baruch prophétise aussi, notamment contre Babylone (XI). Il est témoin oculaire (du moins en vision) de ce qu’un ange prend les objets sacrés du Temple et que la terre les engloutit (VI.7) Il ose parler d’une manière assez audacieuse à Dieu, un peu à la manière de Job (XIV.5). Sa théologie est clairement une théologie de mérites (XIV.12 ; LI.7). Baruch parle au peuple (XXI) – qui considère Jérémie comme son « compagnon » (XXXIII.1) – et envoie une lettre à Babylone (LXXVII.17s). Il apparaît alors clairement comme un nouveau Moïse (LXXVI.1-3 ; LXXXIV.5s). Son importance spirituelle se reflète aussi dans le fait qu’au lieu de mourir, Baruch connaît une assomption (LXXVI.2). Du secrétaire ponctuel de Jérémie au nouveau Moïse, que de chemin parcouru !

Dans les Paralipomènes de Jérémie, un écrit que l’on pense rédigé après l’an 70, Baruch a un rôle un peu plus modeste. Il appelle Jérémie « mon père » (II.1,4,7), ce qui suggère un lien de subordination. Dieu ordonne à Jérémie de laisser Baruch à Jérusalem quand le prophète part à Babylone [!] (III.12). Les deux hommes se chargent de confier les ustensiles du Temple à la terre (III.14). Resté seul à Jérusalem, Baruch prononce une lamentation (IV.6) puis il reçoit des explications par un ange (IV.11). Il recevra d’ailleurs le prédicat « conseiller de lumière » par un autre ange (VI.12). En effet, Baruch se révèle être un homme de liaison important : à l’aide d’un aigle doué de langage, il échange des messages avec Jérémie qui se trouve à Babylone. La fin du livre est assez étonnante : on assiste la reprise de sacrifices à Jérusalem. Jérémie y assiste et s’évanouit. Ayant repris ses esprits, il invite l’assistance à glorifier Dieu et Jésus-Christ (!). Ses auditeurs y voient une reprise du discours d’Esaïe et lapident Jérémie. Le prophète est enterré par Baruch et Ebed-Mélek, lui aussi connu des lecteurs du livre de Jérémie. (IX)

Pour terminer sur une note amusante, voici une trace de Baruch dans l’épître du Pseudo-Tite, un pseudépigraphe chrétien du IVe ou Ve siècle. Le choix de Baruch par Jérémie sert ici d’argument pour dire que les hommes n’ont pas à prendre des femmes à leur service :

Et que voulons-nous donc dire ? Si Elisée a servi Elie en sorte que sa sainteté soit conservée, et si l’enfant Guéhazi a aussi assisté Elisée, comme Baruch a assisté Jérémie pour nous transmettre son histoire, pourquoi donc aujourd’hui un être de sexe masculin – soit un homme – prendrait-il en feignant la pureté, une femme à son service ? S’il s’agit d’une parente proche, c’est permis, mais non dans le cas d’une étrangère ! Ainsi les fils de Noé, une fois passé le déluge, se cherchèrent des lieux pour y établir leurs cités, les nommant du nom de leurs femmes. C’est d’une façon semblable que se conduisent aussi ceux qui se sont unis avec une femme.

L’auteur aurait sans doute approuvé Bob Marley quand il chantait « No woman, no cry ».

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