samedi 1 août 2009

Petit bain de boue biblique

Dans un billet récent, je me suis intéressé aux potiers qui apparaissent dans l’Ecriture. Cette recherche m’a fait découvrir quelques détails intéressants concernant l’argile. En fait, ce mot traduit plusieurs mots de l'hébreu : (I) חמֶר (glaise, argile), (II) טִיט (boue, vase, argile), (III) מֶלֶט (sol argileux ?) et (IV) חֶרֶשׂ (argile, terre à potier), ainsi que (V) l’araméen חֲסַף.

Il y a naturellement un certain nombre de textes où l’argile est cité comme matériau de construction (Ex 1.14 (I) ; Na 3.14 (I, parallélisme avec II) ; Jr 43.9 (III) ; Dn 2 (V)).

Mais ailleurs, le mot argile prend un sens plus imagé.

Quand le contexte est celui de la poterie, on associe l’argile plutôt à de la boue (Es 41.25 ; I, parallélisme avec II) et la malléabilité de cette matière est soulignée (Es 64.7 (I) ; Jr 18.6 (I)). Nous avons déjà vu ces textes dans le billet consacré aux potiers.

Mais ce n’est pas tout. Ceux qui associent l’argile d’office avec de la poterie seront étonnés du grand nombre de textes qui établissent un parallélisme avec la poussière.

Cela se trouve par exemple chez Job :

Souviens-toi, je t’en prie, que tu m’as fait comme avec de l’argile (I);
voudrais-tu me faire retourner à la poussière (עָפָר) ? (Jb 10.9 ; cf. Jb 4.19)

L’argile est ici identifié au matériau dont Dieu a tiré l’homme (voir aussi Jb 33.6). Or dans la Genèse il n’est pas question d’argile.

YHWH Dieu façonna l’homme de la poussière (עָפָר) de la terre (אֲדָמָה) ; il insuffla dans ses narines un souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. (Gn 2.7)

Si on se base sur le texte de Job, la poussière de la Genèse, c’est de l’argile ! Je suis particulièrement content de cette trouvaille, car elle semble établir un lien avec les cosmogonies du Proche-Orient ancien, où les dieux forment l’homme à partir d’argile.

Et cette association n’est pas isolée :

S’il amasse l’argent comme la poussière (עָפָר),
s’il entasse les vêtements comme de l’argile (I), … (Jb 27.16)

Et encore :

Ma force se dessèche comme l’argile (IV),
et ma langue s’attache à mon palais ;
tu me réduis à la poussière (עָפָר) de la mort. (Ps 22.16)

En effet, l’argile à l’état naturel est une matière poussiéreuse, ce qui pourrait justifier l’association.

D’ailleurs, on trouve chez Job un autre parallélisme qui me semble proche : l’argile est assimilé à une substance du nom de אֵפֶר, mot qui se traduit généralement par « poussière » ou « cendre ».

Ce que vous rappelez, ce sont des maximes de cendre (אֵפֶר).
Vos protections ne sont que des protections d’argile (I). (Jb 13.12)

Quand on lit certaines traductions françaises, on pourrait penser que le lien avec la poussière existe aussi chez Daniel, notamment au chapitre 2, consacré à la statue du rêve de Nabuchodonosor :

Tu regardais, lorsqu’une pierre se détacha sans l’action d’aucune main, frappa les pieds de fer et d’argile (V) de la statue et les réduisit en poussière. Alors le fer, l’argile, le bronze, l’argent et l’or furent pulvérisés ensemble .... (Dn 2.34s)

Mais le texte araméen ne contient aucune référence à de la poussière. C’est le traducteur qui a jugé bon de traduire la racine דקק (« écraser », « broyer ») par « réduire en poussière ».

Dans ce contexte, l’argile représente plutôt la fragilité de la terre cuite, et c’est une notion qui réapparaît dans l’Apocalypse :

Avec un sceptre de fer il les fera paître – comme on brise les vases d’argile (τὰ κεραμικὰ) … (Ap 2.27)

En résumé, on peut dire que le petit mot « argile » (ou plutôt les différents termes qui sont traduits ainsi) véhicule un certain nombre de significations : outre le matériau en tant que tel, il représente la poussière, parfois avec une référence explicite à l’acte créateur de Dieu, mais aussi la boue que travaille le potier et le produit (fragile) de son travail.

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