dimanche 30 août 2009

Mystérieux mulet

Récemment, en lisant le Psaume 32, je suis tombé sur un passage quelque peu énigmatique.

1 Heureux celui dont la transgression est pardonnée, dont le péché est couvert !
2 Heureux l’homme à qui YHWH ne tient pas compte de la faute,
et dans l’esprit duquel il n’y a pas de tromperie !

3 Tant que je gardais le silence, mes os se consumaient, je gémissais sans cesse ;
4 car jour et nuit ta main pesait sur moi,
ma vigueur s’était changée en sécheresse d’été.
5 Je te fais connaître mon péché : je n’ai pas couvert ma faute ;
J’ai dit : Je reconnaîtrai mes transgressions devant YHWH !
Et toi, tu as pardonné ma faute, mon péché.

6 Qu’ainsi tout fidèle te prie au temps convenable !
Quand de grandes eaux inonderaient tout, elles ne l’atteindraient pas.
7 Tu es pour moi une cachette, tu me préserves de la détresse ; tu m’entoures de cris de délivrance.

8 Je t’instruirai, je t’enseignerai quelle voie tu prendras. Je te conseillerai, en ayant mon œil sur toi.
9 Ne soyez pas comme un cheval ou un mulet sans intelligence [à qui on met] un mors, une bride qui l’orne, pour le freiner
et [pour] ne pas s’approcher de toi.
10 Il y a beaucoup de douleurs pour le méchant; celui qui met sa confiance dans YHWH, sa fidélité l’entoure.
11 Justes, réjouissez-vous dans YHWH, soyez dans l’allégresse ! Poussez des cris de joie, vous tous qui avez le cœur droit !

Le passage qui pose problème, ce sont les versets 8 et 9.

Les versets 1 et 2 livrent une affirmation assez générale. Elle se base sur l’expérience personnelle de David, résumée dans les versets 3 à 5. Aux versets 6 et 7, c’est a priori toujours David qui tire des conclusions de son vécu. Le « toi » du verset 7 semble désigner Dieu.

Il n’en est pas ainsi au verset 8, car on voit mal David proposer de l’instruction à Dieu. Si c’est toujours David qui parle, le « toi » a dû glisser de Dieu à un interlocuteur non désigné de David. Delitzsch pense que David parle maintenant en enseignant. Toutefois, ce glissement me semble assez inhabituel. En revanche, il n’est pas exclu que c’est Dieu qui parle maintenant à David. De telles transitions abruptes ne sont pas rares dans les psaumes, et le verset 8 se comprendrait aisément de cette manière. Mais c’est le verset 9 qui devient alors quelque peu énigmatique. Il s’adresse d’abord à une pluralité de personnes ( … ne soyez pas … : תְּהִיוּ) puis de nouveau « à toi » (אֵלֶיךָ). Si la pluralité de personnes désigne les Israélites, qui est visé par le « toi » ? David ? Mais pourquoi le cheval ou le mulet n’iraient-ils pas vers David ? Ou même vers qui que ce soit ?

Les versets 10 et 11 sont de nouveau très classiques et ne posent pas de problème particulier.

J’ai donc essayé de voir plus clair au sujet des versets 8 et 9, notamment en consultant des commentaires.

Robert Alter signale un cryptic moment in the text, mais il n’élabore pas. Il pense que le psaume pourrait évoquer une situation où le mors est mis à l’animal pour qu’il ne fonce pas dans une foule.

Parmi les exégètes théologiens, presque tous cèdent à la tentation de modifier le texte hébreu, ce qui est un bon indicateur de la difficulté du texte. Peter C. Craigie, par exemple, fait remarquer que deux manuscrits portent en effet le singulier (… ne sois pas … : תְּהִי au lieu de תְּהִיוּ). Hans-Joachim Kraus choisit lui aussi cette option. Mais c’est un peu facile, d’autant plus qu’on voit mal pourquoi un scribe aurait modifié le singulier en pluriel. Une modification en sens inverse est plus facile à comprendre. Gianfranco Ravasi signale d’ailleurs que cette alternation entre singulier et pluriel est très fréquente, entre autres, dans le Deutéronome.

Derek Kidner estime que les versets 8 et 9 sont la réponse de Dieu à David et à travers lui au reste de la communauté ; c’est ainsi qu’il explique l’exhortation au pluriel. Willem Van Gemeren abonde dans ce sens. En ce qui concerne la fin du verset 9, Kidner la trouve elusive. Selon lui, la dernière partie du verset peut se traduire par « sinon (else) il ne s’approchera pas de toi » ou par « pour qu’il ne s’approche pas de toi », mais il juge la première version plus intelligible. Il mentionne une autre possibilité intéressante, à savoir que la fin du verset est la seule relique d’un verset amputé, promettant la protection de difficultés, et qu’elle ne se rattache donc pas vraiment à ce qui la précède. De manière semblable, Hans-Joachim Kraus propose de couper après freiner et de traduire le reste du verset par On ne s’approchera pas de toi (Nicht soll man dir nahen !), ce qui fait écho à l’affirmation Mon œil est sur toi ! du verset 8. Je trouve cette solution assez ingénieuse, mais elle maltraite quelque peu le flux de la pensée du psalmiste.

Castellino a consacré tout un article au seul verset 9 du psaume. Il arrive à la traduction suivante : Ne sois pas comme le cheval et le mulet qui ne veulent rien savoir de mors et bride. Quand on l’approche pour lui mettre le frein, il rue. Toutefois, je me demande si cela ne traduit pas davantage les connaissances hippiques de l’auteur que notre verset.

Fichtre ! Le mystère du mulet reste entier, ou presque. Le message du paragraphe est néanmoins assez clair : Dieu veut que les siens suivent ses instructions de leur plein gré – et qu’ils confessent leur faute quand ils chutent. En faisant la tête de mule, ils invitent la souffrance.

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