lundi 23 mars 2009

Aaron ou la politique du moindre mal

L’Exode est un livre plein d’histoires fascinantes. Le récit du veau d’or (ou, plus précisément : du petit taureau [עֵגֶל] d’or) en fait partie.

Moïse étant parti à la rencontre de Dieu, le peuple s’impatiente. Il dit à Aaron : « Fais-nous des dieux (אֱלהִים) qui marchent devant nous ! » Celui-ci, dépassé par les événements, s’exécute.

Aaron leur dit : « Enlevez les anneaux d’or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles, et apportez-les-moi. » Tous les gens du peuple enlevèrent les anneaux d’or qui étaient à leurs oreilles et les apportèrent à Aaron. Celui-ci prit l’or de leurs mains, le façonna au burin et fit un taurillon de métal fondu. Puis ils dirent : « Voici tes dieux (אֱלהִים), Israël, ceux qui t’ont fait monter d’Egypte ! » Lorsque Aaron vit cela, il bâtit un autel devant le taurillon et s’écria : « Demain, il y aura une fête pour YHWH ! » Le lendemain, ils se levèrent de bon matin, ils offrirent des holocaustes et présentèrent des sacrifices de paix. Le peuple s’assit pour manger et pour boire; puis ils se levèrent pour s’amuser. (Ex 32.2-6)

Lorsque Moïse, de retour de la montagne, confronte Aaron, en l’interrogeant : Que t’a fait ce peuple, pour que tu aies fait venir sur lui un si grand péché ?, son frère lui donne une version qui le dédouane autant que possible.

Aaron répondit : « Ne te mets pas en colère, mon seigneur ! Tu connais toi-même ce peuple : il est porté au mal. Ils m’ont dit : « Fais-nous des dieux (אֱלהִים) qui marchent devant nous ! Car ce Moïse, cet homme qui nous a fait monter d’Egypte, nous ne savons pas ce qui est advenu de lui ! » Je leur ai dit : « Que ceux qui ont des objets d’or les enlèvent ! » Ils me les ont donnés; je les ai jetés au feu, et il en est sorti ce taurillon. » (Ex 32.22-24)

On relèvera le contraste entre le rôle actif d’Aaron dans la première version, où l’on a l’impression qu’Aaron lui-même prête main à la confection de l’idole, et le rôle qu’il s’attribue dans sa version personnelle où il se contente de « jeter » l’or au feu, le taurillon en sortant tout seul. On croit discerner une note d'ironie dans les propos de l’auteur biblique.

Je me suis demandé pourquoi Aaron s’en tirait à si bon compte alors que peu de temps après, ses deux fils mourront en punition du seul fait d’avoir offert un feu profane (voir mon billet précédent). Je pense que la raison nous est indiquée en filigrane, par l’utilisation des noms désignant la divinité.

Le peuple veut des dieux (Elohim : אֱלהִים) et il reconnaît ces dieux dans la statue qu’Aaron vient de produire. (On a noté que les Israélites utilisent le mot Elohim avec un participe au pluriel, alors que les auteurs bibliques utilisent des verbes au singulier quand ils désignent le Dieu d'Israël par ce mot - vraisemblablement, pour éviter tout amalgame polythéiste.) Quand Aaron voit l’attitude du peuple, il s’empresse de diriger ce culte dévoyé vers YHWH, en annonçant une fête pour YHWH. Autrement dit, tout en accédant à la demande du peuple, Aaron reste un disciple du Dieu de ses pères. Contrairement à certains membres du peuple, il n’a pas d’autres dieux (Ex 20.3) ; il se rend seulement coupable d’avoir représenté YHWH (Ex 20.4). C’est sans doute pour cela qu’il n’est pas tombé sous les coups de la troupe de choc de ceux qui sont pour YHWH (Ex 32.26).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire